27 février 2021

Les chapelles latérales de la cathédrale Notre-Dame de Paris : usages, construction et décor

Des premières décennies du XIIIe au début du XIVe siècle, la cathédrale Notre-Dame de Paris vit son parti d’origine modifié par des reprises et des adjonctions multiples, notamment la construction de chapelles sur l’ensemble de son pourtour, un phénomène qui va nous intéresser aujourd’hui* et qui n’est pas spécifique à la cathédrale parisienne.
Adjoindre des chapelles aux édifices religieux, chapelles fonctionnant comme des oratoires “privés” à l’usage d’individus ou de groupes d’individus (des familles ou des confréries), fut en effet de plus en plus fréquent à partir du milieu du XIIIe siècle.
Les chapelles de Notre-Dame de Paris comptent toutefois parmi les exemples les plus précoces de ce type.
Comme ce fut le cas dans d’autres édifices, elles ont été progressivement insérées sur les flancs de la cathédrale, entre les contreforts.
 
I.            Définitions et fonctions de la chapelle :

Le mot “chapelle” (en latin capella) connaît au moins quatre acceptions.
Au sens architectural, la chapelle correspond à un édicule secondaire, de dimensions réduites, qui peut être greffé à l’édifice principal : c’est donc une partie adjacente à l’église et un lieu consacré au culte.
L’espace de la chapelle peut accueillir un ou plusieurs autels devant lesquels des chapelains qui sont institués et dotés par des particuliers (des laïcs ou des ecclésiastiques) vont célébrer des messes en mémoire des défunts : un autel associé à une dotation perpétuelle destinée à l’entretien d’un desservant constitue une chapelle, ou chapellenie, c’est-à-dire un bénéfice ecclésiastique.
Cette polysémie peut poser problème car “fonder une chapelle” ne signifie pas obligatoirement édifier une petite construction ouverte sur une partie d’édifice (un collatéral ou un déambulatoire) mais plus fréquemment instituer une rente perpétuelle attachée à un officiant chargé de dire des messes pour le repos de l’âme du fondateur et de quelques bénéficiaires choisis par celui-ci, sur l’autorisation du clergé local (à Notre-Dame, le chapitre cathédral).
Dans les sources, rien ne permet bien souvent de différencier cette deuxième acception, ecclésiastique, de la première, purement architecturale.
Une chapelle peut aussi se comprendre comme un groupe de desservants associés à un oratoire, ou – quatrième signification possible – comme l’ensemble des instruments liturgiques nécessaires à la célébration du culte, des objets qui sont généralement fournis par le fondateur de la chapelle, qui pourvoit également aux vêtements des chapelains ainsi qu’au luminaire.
On retiendra que lorsque les textes ne sont pas explicites, ce qui est le cas pour nombre de fondations de chapelles, le chercheur ignorera s’il est fait référence à une construction, à une institution spirituelle ou à ces deux actions associées et simultanées.
Initialement, c’est dans l’espace de la nef que les “chapelles” (au sens de chapellenies) étaient instituées, contre la paroi d’un bas-côté ou contre un pilier ; ce fut le cas à Notre-Dame où la famille royale capétienne fonda les toutes premières chapellenies en 1186.
Ce besoin se fit rapidement ressentir par d’autres types de populations – les élites ecclésiastiques, bien évidemment, mais aussi les officiers royaux et la bourgeoisie urbaine, par mimétisme : ces nouveaux fondateurs imitèrent ainsi l’exemple royal en fondant à leur tour des messes à la mémoire de leurs proches trépassés.
A partir de la fin du XIIe siècle, la multiplication notable de ces fondations de messes privées eut pour conséquence un certain encombrement de l’espace, perturbant de plus en plus la liturgie ainsi que la circulation au sein de la cathédrale.
Pour remédier à cette situation, le clergé décida une expansion latérale de la cathédrale qui répondait de plus aux prescriptions majeures formulées lors de plusieurs conciles réunis au début du XIIIe siècle ; les chapelles seraient intégrées entre les contreforts, ces derniers prenant alors le rôle de cloisons intermédiaires.
L’édification des chapelles latérales débuta sans doute vers 1225 ; dans les années 1320, les dernières chapelles orientales étaient bâties – un siècle a donc été nécessaire pour donner à Notre-Dame sa physionomie caractéristique.
Le clergé cathédral s’assura toujours un certain contrôle des fondations, qui furent très nombreuses au XIVe siècle, entre les années 1310 et 1360 ; la fondation de chapellenies se faisait en étroite concertation avec le chapitre, qui ne donnait pas toujours son accord, en particulier pour les inhumations.
Les chanoines du chapitre constituaient la plus grande part des fondateurs, suivis par le haut clergé (évêques, cardinaux, etc.) et les serviteurs du roi (des membres de l’Hôtel du roi ou des grands organes de gouvernement).
Le souverain était nécessairement présent et ce, même de manière indirecte : en 1312, le chanoine Philippe le Convers fonda par exemple, dans la chapelle Saint-Eutrope, des messes pour lui-même comme pour le roi Philippe le Bel et la reine Jeanne de Navarre ; un vitrail y figurait d’ailleurs le couple royal, qui avait auparavant fondé des chapellenies à ce même emplacement ; ce conseiller royal témoignait ainsi de sa piété... comme de sa dévotion et de sa fidélité au roi !
Le culte dynastique était également assuré par la fondation, en 1299, par Galerand le Breton, concierge du Palais, et son épouse Pétronille, d’une chapellenie dédiée à Saint Louis dans la chapelle Saint-Marcel (dont la titulature fut modifiée) – rappelons que Louis IX avait été canonisé moins de deux ans auparavant.
Les chapelles, à la superficie bien définie et à l’architecture normalisée, communiquaient directement avec l’espace central de la cathédrale dont elles n’étaient séparées que par des grilles de fer.
L’indépendance des desservants était quant à elle très relative : souvent nommés par l’évêque à la mort des fondateurs, les chapelains pouvaient même, pour certains, rejoindre le chapitre cathédral.
Leurs fonctions se limitaient à ce que stipulaient les actes de fondation, c’est-à-dire le chant des messes, à raison de plusieurs messes par semaine, à la mort ou parfois, du vivant même du fondateur ; notons qu’ils n’avaient aucun droit d’exercer des fonctions paroissiales.
A partir des dates de fondation de chapellenies qui nous sont parvenues par le biais de sources variées, il a été possible de proposer une chronologie – très relative ! – de la construction des chapelles.
En effet, ces données ne sont pas toutes facilement exploitables, une chapellenie pouvant être fondée bien après la construction d’une chapelle, ou avant l’achèvement de celle-ci.
Dans la mesure du possible, nous devons tenter de distinguer les sommes destinées aux chapelains, dont le détail est livré dans les actes de fondation, de l’argent consacré à la construction des chapelles, un chantier qui n’émanait que rarement des fondateurs : ceux-ci contribuaient en définitive aux travaux définis, financés et supervisés par le chapitre cathédral.
On connaît le don de 600 livres parisis fait par l’évêque et conseiller royal Simon de Bucy pour l’œuvre des chapelles de l’abside, exceptionnel aussi bien par son montant qu’à cause de l’identité même du donateur ; soucieux de son salut, il légua d’ailleurs 200 livres supplémentaires par testament afin de poursuivre les travaux.
Des individus privilégiés avaient élu leur sépulture dans la chapelle où ils avaient choisi de fonder une chapellenie, une pratique de plus en plus répandue au sein du clergé cathédral à partir de la fin du XIIIe siècle : citons à nouveau Simon de Bucy, inhumé dans la chapelle axiale Saint-Nicaise, entouré de ses proches (son exécuteur testamentaire Gérard de Collandre, son neveu Pierre de Fayel).
Les laïcs recherchaient aussi ce type d’inhumation de prestige, comme le chevalier Pierre Millet, mort en 1329, enterré dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste-Sainte-Marie-Madeleine.
Dans ces chapelles à vocation funéraire, le tombeau pouvait prendre place parmi toute une iconographie chargée de rappeler à la postérité l’identité du fondateur (des verrières portant ses armoiries, un programme peint ou sculpté) ; des clercs firent ainsi placer leur propre représentation ou eurent droit, à leur mort, à une effigie commémorative dans l’espace du déambulatoire, dans ou à l’entrée d’une chapelle – l’évêque Simon de Bucy, mort en 1304, était ainsi doublement représenté (tombeau à gisant et statue en pied du prélat, sur un piédestal qui a été préservé).
Il existait en outre une véritable compétition entre fondateurs dans le but de “survivre” dans la cathédrale, par des libéralités et par un investissement subtil de l’espace, que l’on doit imaginer saturé d’inscriptions et d’images.
 
II.          Etapes de construction, architecture et décor :

Les chapelles latérales furent érigées d’abord au niveau de la nef – entre les contreforts – à partir des années 1220 puis, dans la seconde moitié du XIIIe siècle et jusqu’aux années 1310-1320, autour du chœur et du chevet, ceinturant et amplifiant la cathédrale (ce qui eut une incidence sur le transept).
La construction des chapelles latérales de la nef dura un quart de siècle, de 1225 à 1245-1250, d’après Marcel Aubert : de 1225 à 1235, les quatre premières chapelles septentrionales furent édifiées ; dès 1235 peut-être et jusqu’en 1240, furent construites leurs pendants, sur le flanc sud de la cathédrale ; les trois dernières chapelles septentrionales, les plus proches du bras nord du transept, attribuées tantôt à Jean de Chelles, tantôt à Pierre de Montreuil, furent bâties peu avant le milieu du XIIIe siècle ou au tout début des années 1250.
Les sept chapelles s’ouvrant au nord comme au sud sur le bas-côté extérieur de la nef sont fermées par un mur continu à l’aplomb des contreforts du XIIe siècle.
Les contreforts furent épaissis et ce nouveau mur, garni dans sa partie basse d’une niche abritant une piscine liturgique et percé d’une baie à meneaux, vint clore chaque chapelle.
Il fut par ailleurs nécessaire d’harmoniser les chapelles de la nef avec les structures architecturales voisines (les voûtes, les éléments de retombée et la décoration sculptée des collatéraux).
La bonne luminosité fut garantie par la réalisation de fenêtres de grandes dimensions, qui ont été restaurées au XIXe siècle dans le respect de leur physionomie originelle.
L’enveloppe extérieure des chapelles, fortement modifiée au milieu du XIXe siècle, se prête plus difficilement à l’analyse (songeons aux gâbles restitués par Viollet-le-Duc sur le flanc sud de la cathédrale).
Notons que les remplages des baies sont sensiblement différents d’une chapelle à l’autre, ce qui introduit une certaine variété dans un ensemble globalement homogène.
Pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, le chœur fut à son tour complété de chapelles le long des travées droites (par Jean de Chelles puis Pierre de Montreuil ? Rien n’est assuré).
Leur édification se fit en plusieurs temps : entre 1250 et 1270 environ, furent bâties les quatre premières chapelles droites septentrionales et les trois premières chapelles droites méridionales ; rappelons que les troisièmes “chapelles” nord et sud faisaient office de passage vers les quartiers canonial d’un côté et épiscopal de l’autre.
La dernière chapelle septentrionale comme les quatrième et cinquième chapelles méridionales ont été bâties un peu plus tard, pendant la campagne des chapelles orientales, très vraisemblablement dans la décennie 1310.
Les chapelles droites du chœur sont au nombre de dix, cinq au nord et cinq au sud – il s’agit là encore de chapelles réalisées entre les contreforts, ouvertes sur le collatéral extérieur du chœur, s’intégrant parfaitement dans l’architecture générale de la cathédrale.
L’architecture de ces chapelles s’apparente à celle des chapelles latérales de la nef (remarquons le réseau des baies, les clés de voûte feuillagées, les chapiteaux aux corbeilles ornées de crochets et d’un feuillage fouillé, les tailloirs à bec, les bases dépourvues de scoties, les socles polygonaux et la présence d’une piscine liturgique).
L’enveloppe externe, soulignée de bas-reliefs dans sa partie basse, est marquée par la présence de gâbles pointus au-dessus des baies.
Entre 1296 et 1320 environ, la construction de chapelles se poursuivit à l’est, sous la direction de Pierre de Chelles puis de Jean Ravy (depuis 1318) – ce dernier acheva, comme vous le savez, la clôture du chœur.
Les chapelles du chevet, attribuées à Pierre de Chelles, furent d’abord édifiées, sur l’initiative de l’évêque Simon de Bucy, dès 1296 : la triple chapelle d’axe, dédiée aux saints Marcel, Rigobert et Nicaise, achevée en 1304 puisque Simon de Bucy fut inhumé à cette date dans la paroi de la chapelle Saint-Nicaise, puis les chapelles rayonnantes qui l’avoisinent.
Les dernières chapelles droites du chœur remontent à la fin des années 1310, quand Jean Ravy reprit la direction du chantier ; certains travaux se poursuivirent toutefois jusque dans les années 1330.
Les chapelles du chevet ont été disposées entre les culées des arcs-boutants primitifs.
Elles s’ouvrent sur le déambulatoire externe dont elles reproduisent la forme annulaire.
Les chapelles absidiales composent un ensemble homogène, au volume important (on remarquera que les voûtes y sont plus élevées que dans les chapelles voisines).
La modénature (les ogives au boudin aminci terminé par un méplat, les bases polygonales) comme le décor (les clés de voûte feuillagées, les chapiteaux aux corbeilles garnies de feuilles poussant sur des branches, les remplages aveugles reproduisant sur certaines cloisons le réseau des baies) sont caractéristiques des années 1300.
L’extérieur est marqué quant à lui par l’emploi des principaux éléments décoratifs spécifiques de l’art rayonnant (des remplages aveugles, des niches, des gâbles ajourés).
On peut relever que l’architecture de la priorale – à présent disparue – Saint-Louis de Poissy, fondation du roi Philippe le Bel en l’honneur de son illustre aïeul (1304 | sur une décision prise peu après la canonisation de Louis IX en 1297) présentait une grande proximité avec celle des chapelles absidiales de Notre-Dame de Paris auxquelles le maître d’œuvre de Poissy semble avoir fait délibérément référence.
De même, le chevet de Notre-Dame présente des analogies avec l’architecture des parties les plus récentes du palais de la Cité : l’hypothèse a été émise de concertations possibles entre le roi, ses architectes et ses plus proches conseillers ecclésiastiques, dont faisait partie l’évêque de Paris.
Les chapelles latérales de la cathédrale Notre-Dame eurent enfin une ‘influence’ notable sur l’architecture du diocèse de Paris (à Saint-Denis, les six chapelles greffées sur le bas-côté nord de la nef, mises en place dans la première moitié des années 1320 sur l’initiative de l’abbé Gilles de Pontoise, un conseiller du roi), et bien au-delà ; la forme même des chapelles rayonnantes, fermées par un mur courbe qui cerne le chevet, inspira de nombreux architectes d’Ile-de-France jusqu’à l’époque moderne (pensons par exemple à Saint-Eustache à Paris).
 
III.        Bilan :

Les chapelles sont des édicules au fonctionnement liturgique normalisé et à l’architecture adaptative ; greffées aux flancs de la cathédrale, elles en constituent le prolongement et répondent aux souhaits des commanditaires (l’évêque et le chapitre cathédral).
On a oublié l’effervescence qui, jadis, animait les chapelles : lieux de survie mémorielle, elles revêtaient une grande importance pour les familles ou les confréries qui investissaient, parfois ostensiblement, ces espaces.
C’est principalement cet aspect qui peut être difficile à percevoir, aujourd’hui, par le visiteur laïc – un effort de médiation sur ce point serait sans doute intéressant à mener.
 
* Ce texte est la transcription de la conférence que j’ai donnée pour les guides de l’Association C.A.S.A.-Communautés d’accueil dans les sites artistiques (Groupe Notre-Dame) le 10 février 2021.
 

Sabine Berger, 27 février 2021

La chapelle Saint-Blaise-des-Simples de Milly‑la‑Forêt (dép. Essonne) – XIIe siècle

Située dans le sud-est de l’actuel département de l’Essonne, à Milly‑la‑Forêt*, la chapelle Saint-Blaise-des-Simples ( https://www.chapelle-...