31 décembre 2022

La chapelle Saint-Blaise-des-Simples de Milly‑la‑Forêt (dép. Essonne) – XIIe siècle

Située dans le sud-est de l’actuel département de l’Essonne, à Milly‑la‑Forêt*, la chapelle Saint-Blaise-des-Simples (https://www.chapelle-saint-blaise.org) constitue l’ultime vestige d’une maladrerie fondée au XIIe siècle aux abords de Milly. L’édifice est surtout fameux pour avoir été décoré dans les années 1950 par Jean Cocteau, qui y repose.
Dédiée à saint Blaise [Blaise de Sébaste], saint auxiliateur et guérisseur dont le culte se développe alors en Occident, la chapelle accompagne une petite maladrerie établie en 1136, encore en activité au XVIe siècle. Au XVIIIe siècle, la maladrerie, ruinée, n’est plus signalée que par son ancienne chapelle. En 1959, la restauration de celle-ci est marquée par la confection de vitraux et la réalisation de peintures murales (une Résurrection du Christ, de même que des ‘simples’, plantes médicinales) par Jean Cocteau, Milliacois depuis 1947 (https://www.maisonjeancocteau.com). En 1964, le corps de l’artiste y est transféré dans un caveau. La chapelle est d’abord inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1982 puis définitivement classée en 2015.
La chapelle Saint-Blaise (https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00087957), de dimensions modestes, est d’une grande sobriété architecturale : essentiellement bâtie en grès, elle est de plan quadrangulaire, formée d’un court vaisseau unique surmonté d’une charpente apparente. Elle est de style roman tardif : murs épais, éclairage naturel réduit, petites baies en plein-cintre. Les murs gouttereaux comme le chevet plat sont contrefortés. La façade occidentale est percée d’une unique porte en plein-cintre coiffée d’une baie étroite ; le pignon est ponctué de baies géminées en plein-cintre également. La toiture à double pente est couverte de tuiles. Un jardin attenant accueille la culture des simples.
Actuellement, la chapelle est au cœur d’un projet de restauration mené par la Fondation du patrimoine, dans le cadre de la Mission Bern (https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/ancienne-chapelle-saint-blaise-des-simples) : les travaux débuteront au printemps 2023.
 
Bibliographie : Léon MARQUIS, Histoire de Milly-la-Forêt, coll. Monographies des villes et villages de France (507), Fontainebleau, 1897, rééd. Paris, 1990.
 
 
* Communauté de communes des 2 Vallées / Parc naturel régional du Gâtinais français.


    Sabine Berger, 31 décembre 2022

27 février 2021

Les chapelles latérales de la cathédrale Notre-Dame de Paris : usages, construction et décor

Des premières décennies du XIIIe au début du XIVe siècle, la cathédrale Notre-Dame de Paris vit son parti d’origine modifié par des reprises et des adjonctions multiples, notamment la construction de chapelles sur l’ensemble de son pourtour, un phénomène qui va nous intéresser aujourd’hui* et qui n’est pas spécifique à la cathédrale parisienne.
Adjoindre des chapelles aux édifices religieux, chapelles fonctionnant comme des oratoires “privés” à l’usage d’individus ou de groupes d’individus (des familles ou des confréries), fut en effet de plus en plus fréquent à partir du milieu du XIIIe siècle.
Les chapelles de Notre-Dame de Paris comptent toutefois parmi les exemples les plus précoces de ce type.
Comme ce fut le cas dans d’autres édifices, elles ont été progressivement insérées sur les flancs de la cathédrale, entre les contreforts.
 
I.            Définitions et fonctions de la chapelle :

Le mot “chapelle” (en latin capella) connaît au moins quatre acceptions.
Au sens architectural, la chapelle correspond à un édicule secondaire, de dimensions réduites, qui peut être greffé à l’édifice principal : c’est donc une partie adjacente à l’église et un lieu consacré au culte.
L’espace de la chapelle peut accueillir un ou plusieurs autels devant lesquels des chapelains qui sont institués et dotés par des particuliers (des laïcs ou des ecclésiastiques) vont célébrer des messes en mémoire des défunts : un autel associé à une dotation perpétuelle destinée à l’entretien d’un desservant constitue une chapelle, ou chapellenie, c’est-à-dire un bénéfice ecclésiastique.
Cette polysémie peut poser problème car “fonder une chapelle” ne signifie pas obligatoirement édifier une petite construction ouverte sur une partie d’édifice (un collatéral ou un déambulatoire) mais plus fréquemment instituer une rente perpétuelle attachée à un officiant chargé de dire des messes pour le repos de l’âme du fondateur et de quelques bénéficiaires choisis par celui-ci, sur l’autorisation du clergé local (à Notre-Dame, le chapitre cathédral).
Dans les sources, rien ne permet bien souvent de différencier cette deuxième acception, ecclésiastique, de la première, purement architecturale.
Une chapelle peut aussi se comprendre comme un groupe de desservants associés à un oratoire, ou – quatrième signification possible – comme l’ensemble des instruments liturgiques nécessaires à la célébration du culte, des objets qui sont généralement fournis par le fondateur de la chapelle, qui pourvoit également aux vêtements des chapelains ainsi qu’au luminaire.
On retiendra que lorsque les textes ne sont pas explicites, ce qui est le cas pour nombre de fondations de chapelles, le chercheur ignorera s’il est fait référence à une construction, à une institution spirituelle ou à ces deux actions associées et simultanées.
Initialement, c’est dans l’espace de la nef que les “chapelles” (au sens de chapellenies) étaient instituées, contre la paroi d’un bas-côté ou contre un pilier ; ce fut le cas à Notre-Dame où la famille royale capétienne fonda les toutes premières chapellenies en 1186.
Ce besoin se fit rapidement ressentir par d’autres types de populations – les élites ecclésiastiques, bien évidemment, mais aussi les officiers royaux et la bourgeoisie urbaine, par mimétisme : ces nouveaux fondateurs imitèrent ainsi l’exemple royal en fondant à leur tour des messes à la mémoire de leurs proches trépassés.
A partir de la fin du XIIe siècle, la multiplication notable de ces fondations de messes privées eut pour conséquence un certain encombrement de l’espace, perturbant de plus en plus la liturgie ainsi que la circulation au sein de la cathédrale.
Pour remédier à cette situation, le clergé décida une expansion latérale de la cathédrale qui répondait de plus aux prescriptions majeures formulées lors de plusieurs conciles réunis au début du XIIIe siècle ; les chapelles seraient intégrées entre les contreforts, ces derniers prenant alors le rôle de cloisons intermédiaires.
L’édification des chapelles latérales débuta sans doute vers 1225 ; dans les années 1320, les dernières chapelles orientales étaient bâties – un siècle a donc été nécessaire pour donner à Notre-Dame sa physionomie caractéristique.
Le clergé cathédral s’assura toujours un certain contrôle des fondations, qui furent très nombreuses au XIVe siècle, entre les années 1310 et 1360 ; la fondation de chapellenies se faisait en étroite concertation avec le chapitre, qui ne donnait pas toujours son accord, en particulier pour les inhumations.
Les chanoines du chapitre constituaient la plus grande part des fondateurs, suivis par le haut clergé (évêques, cardinaux, etc.) et les serviteurs du roi (des membres de l’Hôtel du roi ou des grands organes de gouvernement).
Le souverain était nécessairement présent et ce, même de manière indirecte : en 1312, le chanoine Philippe le Convers fonda par exemple, dans la chapelle Saint-Eutrope, des messes pour lui-même comme pour le roi Philippe le Bel et la reine Jeanne de Navarre ; un vitrail y figurait d’ailleurs le couple royal, qui avait auparavant fondé des chapellenies à ce même emplacement ; ce conseiller royal témoignait ainsi de sa piété... comme de sa dévotion et de sa fidélité au roi !
Le culte dynastique était également assuré par la fondation, en 1299, par Galerand le Breton, concierge du Palais, et son épouse Pétronille, d’une chapellenie dédiée à Saint Louis dans la chapelle Saint-Marcel (dont la titulature fut modifiée) – rappelons que Louis IX avait été canonisé moins de deux ans auparavant.
Les chapelles, à la superficie bien définie et à l’architecture normalisée, communiquaient directement avec l’espace central de la cathédrale dont elles n’étaient séparées que par des grilles de fer.
L’indépendance des desservants était quant à elle très relative : souvent nommés par l’évêque à la mort des fondateurs, les chapelains pouvaient même, pour certains, rejoindre le chapitre cathédral.
Leurs fonctions se limitaient à ce que stipulaient les actes de fondation, c’est-à-dire le chant des messes, à raison de plusieurs messes par semaine, à la mort ou parfois, du vivant même du fondateur ; notons qu’ils n’avaient aucun droit d’exercer des fonctions paroissiales.
A partir des dates de fondation de chapellenies qui nous sont parvenues par le biais de sources variées, il a été possible de proposer une chronologie – très relative ! – de la construction des chapelles.
En effet, ces données ne sont pas toutes facilement exploitables, une chapellenie pouvant être fondée bien après la construction d’une chapelle, ou avant l’achèvement de celle-ci.
Dans la mesure du possible, nous devons tenter de distinguer les sommes destinées aux chapelains, dont le détail est livré dans les actes de fondation, de l’argent consacré à la construction des chapelles, un chantier qui n’émanait que rarement des fondateurs : ceux-ci contribuaient en définitive aux travaux définis, financés et supervisés par le chapitre cathédral.
On connaît le don de 600 livres parisis fait par l’évêque et conseiller royal Simon de Bucy pour l’œuvre des chapelles de l’abside, exceptionnel aussi bien par son montant qu’à cause de l’identité même du donateur ; soucieux de son salut, il légua d’ailleurs 200 livres supplémentaires par testament afin de poursuivre les travaux.
Des individus privilégiés avaient élu leur sépulture dans la chapelle où ils avaient choisi de fonder une chapellenie, une pratique de plus en plus répandue au sein du clergé cathédral à partir de la fin du XIIIe siècle : citons à nouveau Simon de Bucy, inhumé dans la chapelle axiale Saint-Nicaise, entouré de ses proches (son exécuteur testamentaire Gérard de Collandre, son neveu Pierre de Fayel).
Les laïcs recherchaient aussi ce type d’inhumation de prestige, comme le chevalier Pierre Millet, mort en 1329, enterré dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste-Sainte-Marie-Madeleine.
Dans ces chapelles à vocation funéraire, le tombeau pouvait prendre place parmi toute une iconographie chargée de rappeler à la postérité l’identité du fondateur (des verrières portant ses armoiries, un programme peint ou sculpté) ; des clercs firent ainsi placer leur propre représentation ou eurent droit, à leur mort, à une effigie commémorative dans l’espace du déambulatoire, dans ou à l’entrée d’une chapelle – l’évêque Simon de Bucy, mort en 1304, était ainsi doublement représenté (tombeau à gisant et statue en pied du prélat, sur un piédestal qui a été préservé).
Il existait en outre une véritable compétition entre fondateurs dans le but de “survivre” dans la cathédrale, par des libéralités et par un investissement subtil de l’espace, que l’on doit imaginer saturé d’inscriptions et d’images.
 
II.          Etapes de construction, architecture et décor :

Les chapelles latérales furent érigées d’abord au niveau de la nef – entre les contreforts – à partir des années 1220 puis, dans la seconde moitié du XIIIe siècle et jusqu’aux années 1310-1320, autour du chœur et du chevet, ceinturant et amplifiant la cathédrale (ce qui eut une incidence sur le transept).
La construction des chapelles latérales de la nef dura un quart de siècle, de 1225 à 1245-1250, d’après Marcel Aubert : de 1225 à 1235, les quatre premières chapelles septentrionales furent édifiées ; dès 1235 peut-être et jusqu’en 1240, furent construites leurs pendants, sur le flanc sud de la cathédrale ; les trois dernières chapelles septentrionales, les plus proches du bras nord du transept, attribuées tantôt à Jean de Chelles, tantôt à Pierre de Montreuil, furent bâties peu avant le milieu du XIIIe siècle ou au tout début des années 1250.
Les sept chapelles s’ouvrant au nord comme au sud sur le bas-côté extérieur de la nef sont fermées par un mur continu à l’aplomb des contreforts du XIIe siècle.
Les contreforts furent épaissis et ce nouveau mur, garni dans sa partie basse d’une niche abritant une piscine liturgique et percé d’une baie à meneaux, vint clore chaque chapelle.
Il fut par ailleurs nécessaire d’harmoniser les chapelles de la nef avec les structures architecturales voisines (les voûtes, les éléments de retombée et la décoration sculptée des collatéraux).
La bonne luminosité fut garantie par la réalisation de fenêtres de grandes dimensions, qui ont été restaurées au XIXe siècle dans le respect de leur physionomie originelle.
L’enveloppe extérieure des chapelles, fortement modifiée au milieu du XIXe siècle, se prête plus difficilement à l’analyse (songeons aux gâbles restitués par Viollet-le-Duc sur le flanc sud de la cathédrale).
Notons que les remplages des baies sont sensiblement différents d’une chapelle à l’autre, ce qui introduit une certaine variété dans un ensemble globalement homogène.
Pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, le chœur fut à son tour complété de chapelles le long des travées droites (par Jean de Chelles puis Pierre de Montreuil ? Rien n’est assuré).
Leur édification se fit en plusieurs temps : entre 1250 et 1270 environ, furent bâties les quatre premières chapelles droites septentrionales et les trois premières chapelles droites méridionales ; rappelons que les troisièmes “chapelles” nord et sud faisaient office de passage vers les quartiers canonial d’un côté et épiscopal de l’autre.
La dernière chapelle septentrionale comme les quatrième et cinquième chapelles méridionales ont été bâties un peu plus tard, pendant la campagne des chapelles orientales, très vraisemblablement dans la décennie 1310.
Les chapelles droites du chœur sont au nombre de dix, cinq au nord et cinq au sud – il s’agit là encore de chapelles réalisées entre les contreforts, ouvertes sur le collatéral extérieur du chœur, s’intégrant parfaitement dans l’architecture générale de la cathédrale.
L’architecture de ces chapelles s’apparente à celle des chapelles latérales de la nef (remarquons le réseau des baies, les clés de voûte feuillagées, les chapiteaux aux corbeilles ornées de crochets et d’un feuillage fouillé, les tailloirs à bec, les bases dépourvues de scoties, les socles polygonaux et la présence d’une piscine liturgique).
L’enveloppe externe, soulignée de bas-reliefs dans sa partie basse, est marquée par la présence de gâbles pointus au-dessus des baies.
Entre 1296 et 1320 environ, la construction de chapelles se poursuivit à l’est, sous la direction de Pierre de Chelles puis de Jean Ravy (depuis 1318) – ce dernier acheva, comme vous le savez, la clôture du chœur.
Les chapelles du chevet, attribuées à Pierre de Chelles, furent d’abord édifiées, sur l’initiative de l’évêque Simon de Bucy, dès 1296 : la triple chapelle d’axe, dédiée aux saints Marcel, Rigobert et Nicaise, achevée en 1304 puisque Simon de Bucy fut inhumé à cette date dans la paroi de la chapelle Saint-Nicaise, puis les chapelles rayonnantes qui l’avoisinent.
Les dernières chapelles droites du chœur remontent à la fin des années 1310, quand Jean Ravy reprit la direction du chantier ; certains travaux se poursuivirent toutefois jusque dans les années 1330.
Les chapelles du chevet ont été disposées entre les culées des arcs-boutants primitifs.
Elles s’ouvrent sur le déambulatoire externe dont elles reproduisent la forme annulaire.
Les chapelles absidiales composent un ensemble homogène, au volume important (on remarquera que les voûtes y sont plus élevées que dans les chapelles voisines).
La modénature (les ogives au boudin aminci terminé par un méplat, les bases polygonales) comme le décor (les clés de voûte feuillagées, les chapiteaux aux corbeilles garnies de feuilles poussant sur des branches, les remplages aveugles reproduisant sur certaines cloisons le réseau des baies) sont caractéristiques des années 1300.
L’extérieur est marqué quant à lui par l’emploi des principaux éléments décoratifs spécifiques de l’art rayonnant (des remplages aveugles, des niches, des gâbles ajourés).
On peut relever que l’architecture de la priorale – à présent disparue – Saint-Louis de Poissy, fondation du roi Philippe le Bel en l’honneur de son illustre aïeul (1304 | sur une décision prise peu après la canonisation de Louis IX en 1297) présentait une grande proximité avec celle des chapelles absidiales de Notre-Dame de Paris auxquelles le maître d’œuvre de Poissy semble avoir fait délibérément référence.
De même, le chevet de Notre-Dame présente des analogies avec l’architecture des parties les plus récentes du palais de la Cité : l’hypothèse a été émise de concertations possibles entre le roi, ses architectes et ses plus proches conseillers ecclésiastiques, dont faisait partie l’évêque de Paris.
Les chapelles latérales de la cathédrale Notre-Dame eurent enfin une ‘influence’ notable sur l’architecture du diocèse de Paris (à Saint-Denis, les six chapelles greffées sur le bas-côté nord de la nef, mises en place dans la première moitié des années 1320 sur l’initiative de l’abbé Gilles de Pontoise, un conseiller du roi), et bien au-delà ; la forme même des chapelles rayonnantes, fermées par un mur courbe qui cerne le chevet, inspira de nombreux architectes d’Ile-de-France jusqu’à l’époque moderne (pensons par exemple à Saint-Eustache à Paris).
 
III.        Bilan :

Les chapelles sont des édicules au fonctionnement liturgique normalisé et à l’architecture adaptative ; greffées aux flancs de la cathédrale, elles en constituent le prolongement et répondent aux souhaits des commanditaires (l’évêque et le chapitre cathédral).
On a oublié l’effervescence qui, jadis, animait les chapelles : lieux de survie mémorielle, elles revêtaient une grande importance pour les familles ou les confréries qui investissaient, parfois ostensiblement, ces espaces.
C’est principalement cet aspect qui peut être difficile à percevoir, aujourd’hui, par le visiteur laïc – un effort de médiation sur ce point serait sans doute intéressant à mener.
 
* Ce texte est la transcription de la conférence que j’ai donnée pour les guides de l’Association C.A.S.A.-Communautés d’accueil dans les sites artistiques (Groupe Notre-Dame) le 10 février 2021.
 

Sabine Berger, 27 février 2021

05 février 2020

@ArtMedNumerique | Enseigner avec le numérique en Master 1 d’Histoire de l’art médiéval

La création, à la rentrée 2013, d’un séminaire de Master 1 spécifiquement consacré à l’enseignement de la méthodologie de la recherche en histoire de l’art et de l’architecture du Moyen Âge européen à l’ère du numérique, Art médiéval à l’ère du numérique : questions de translittératie, a permis d’élargir le spectre des enseignements proposés par l’U.F.R. d’Art et Archéologie de Paris-Sorbonne (aujourd’hui Faculté des Lettres de Sorbonne Université), en offrant aux étudiants un accompagnement critique aux nouveaux outils de la recherche profitables aux médiévistes.
Il est en effet apparu essentiel d’enrichir l’éventail des connaissances inculquées lors de cette année d’initiation à la recherche en introduisant la découverte de méthodes documentaires fondées sur l’usage d’Internet et des nouvelles technologies de l’information. Il ne s’agit pas de former de futurs professionnels des technologies numériques appliquées au patrimoine culturel ou architectural – d’excellents parcours de formation existent déjà, tant à l’intérieur qu’hors du monde académique – mais de donner aux étudiants des compétences originales et transversales leur permettant de naviguer aisément entre documentation papier et ressources en ligne durant l’élaboration de leur mémoire.
Cet enseignement de l’histoire de l’art médiéval à l’ère du numérique, complété d’un espace Moodle et associé à un compte Twitter (@ArtMedNumerique), cherche ainsi à doter les étudiants d’un certain nombre de réflexes : exploitation des réseaux sociaux comme outil de veille pédagogique et scientifique, recours régulier aux manuscrits et publications numérisés, utilisation systématique de bases de données iconographiques en ligne pour la construction de corpus photographiques, consultation d’expositions virtuelles ou usage fréquent d’animations 3D et d’applications de réalité augmentée pour une meilleure compréhension des techniques de construction médiévales, etc.
Ces nouvelles pratiques visent en fin de compte à apporter à un public d’apprenants âgés de 21 à 23 ans, engagés dans un Master Recherche, l’ouverture indispensable aux humanités numériques. Actualiser les méthodes traditionnelles de transmission des savoirs fondamentaux aux étudiants constitue un défi intellectuel enthousiasmant autant qu’une nécessité pédagogique à l’heure où la translittératie est devenue une compétence incontournable.

Art médiéval à l’ère du numérique est un séminaire méthodologique consacré à la découverte des principaux outils et ressources papier aussi bien que numériques utiles aux médiévistes ainsi qu’à l’apprentissage de méthodes de veille et de recherche documentaire fondées sur l’usage des nouvelles technologies. Les séances sont également fréquentées par des antiquisants comme par quelques modernistes puisque nous examinons parfois des ressources relatives à l’art chrétien de l’Antiquité tardive ou à la Renaissance italienne, au gré des besoins ponctuels des étudiants dont les sujets de recherche peuvent être transchronologiques.
Les catalogues en ligne des bibliothèques généralistes et spécialisées, les grands moteurs de recherche, les bases de données textuelles et iconographiques en ligne, les bibliothèques numériques et les périodiques électroniques ainsi que les ressources muséales et patrimoniales en ligne ne constituent pas des media totalement inédits pour des étudiants venant d’achever leur 3ème année universitaire : cependant, ces derniers n’exploitent pas toujours au mieux le potentiel de ces outils ou ne disposent pas d’un panorama suffisamment précis de toutes les ressources offertes par le web en général et par leurs bibliothèques universitaires en particulier, pour mener à bien leurs travaux en histoire de l’art médiéval.
L’élaboration du mémoire de recherche est donc envisagée d’un point de vue purement méthodologique – du rassemblement des premiers éléments archivistiques et bibliographiques jusqu’à la rédaction du plan –, les questions précisément liées au sujet de recherche choisi par l’étudiant relevant quant à elles de l’indispensable dialogue avec sa directrice ou son directeur de recherche.

Le séminaire se déploie sur la douzaine de semaines d’enseignements composant le premier semestre de chaque année universitaire. Le participant nécessite simplement d’être familier de l’environnement pc ou mac et de la navigation sur Internet comme de porter un intérêt manifeste à la méthodologie documentaire pour médiévistes, aux nouvelles technologies appliquée à l’histoire de l’art et à l’archéologie du Moyen Age et à la valorisation du patrimoine (notamment médiéval) grâce à la médiation numérique.
Les intentions pédagogiques du séminaire sont triples : connaître et savoir manipuler les principales ressources papier et numériques en relation avec l’histoire de l’art médiéval (architecture religieuse, civile et militaire – arts figurés) ; être parfaitement autonome dans ses recherches documentaires, aussi bien en archives et bibliothèques que sur le web ; enfin, et plus globalement, maîtriser les nouveaux paradigmes liés à la « digitalisation »/transformation digitale du monde académique, tant en matière de recherche que d’enseignement.
L’assiduité aux séances est prise en compte dans la notation ainsi que la participation orale, que j’encourage fortement en ménageant un temps de discussion systématique. Parallèlement, les étudiants sont invités à poursuivre la réflexion en explorant la documentation qui leur est destinée sur la plateforme Moodle où un espace spécifique, régulièrement alimenté, constitue le prolongement virtuel de nos travaux en salle. Pour valider le suivi du séminaire, les étudiants élaborent une webographie/sitographie en relation directe avec leur sujet de recherche, qu’ils pourront par la suite insérer dans les annexes de leur mémoire.

La première séance consiste en une introduction générale intitulée « Internet et les médiévistes – bref historique et panorama actuel de la recherche ». Après une première prise de contact accompagnée par un point détaillé sur les objectifs du séminaire et les modalités d’évaluation finales, nous commençons par parcourir les différents sites web de méthodologie documentaire permettant aux étudiants d’apprendre en toute autonomie depuis leur entrée en Licence et de consolider leurs compétences durant les deux années de Master (Form@doct par les universités bretonnes [destiné aux doctorants mais profitable aux masterants], Cerise ou encore Compas). Leur sont également présentées les formations délivrées en ligne ou en présentiel par l’U.R.F.I.S.T. de Paris.
La seconde partie de la séance est pleinement consacrée à un panorama de la relation entre les médiévistes et l’informatique/le numérique, depuis les initiatives fondatrices (la revue Le Médiéviste et l’Ordinateur) jusqu’aux réseaux et plateformes d’existence plus ou moins ancienne et d’usage généralisé, comme Ménestrel ou The Digital Medievalist.
Nous retraçons enfin, assez rapidement, l’histoire d’Internet et terminons par l’établissement collaboratif d’une typologie des outils papier et numériques usités aujourd’hui par les médiévistes, qu’ils soient débutants ou chercheurs confirmés : les grands moteurs de recherche, les blogs scientifiques et carnets de recherche, les wikis, les réseaux sociaux, les catalogues en ligne de bibliothèques, les bases de données et les banques d’images, les bibliothèques numériques, les périodiques électroniques, les sites web de musées ou de monuments.

La deuxième séance porte sur l’identité numérique et les outils de veille généralistes et disciplinaires. Après une vingtaine de minutes dédiée à la question fondamentale de la représentation numérique de l’étudiant en Master ou Doctorat (par exemple le C.V. en ligne sur Do You Buzz ou la page personnelle sur le site web de son laboratoire de rattachement), l’objectif essentiel de cette séance est de savoir rechercher l’information fiable et pertinente en ligne : apprendre à sélectionner les informations et reconnaître un site web de qualité qui pourra être exploité avec profit, savoir en quoi consiste une bonne veille documentaire en histoire de l’art médiéval.
Nous travaillons pour cela à partir d’une grille d’analyse offrant une série de questions qu’il est primordial de se poser durant sa navigation afin d’aiguiser son regard critique et de ne pas céder à la paresse intellectuelle consistant à se contenter des tout premiers résultats apparus en réponse à sa requête. Dans la perspective de rassembler une documentation de recherche solide, outre la collecte menée en bibliothèque, les étudiants font en effet usage de données provenant du web : je pense en particulier aux grandes bases de données du Ministère de la Culture, Mérimée et Palissy, indispensables à ceux qui étudient le patrimoine monumental ou mobilier français à une échelle locale comme nationale, mais les exemples sont pléthoriques.
Elaborer une veille thématique efficace et bénéficier de la veille d’autrui constitue un savoir-faire clé : les étudiants qui disposent de cette compétence avant même l’entrée en Master s’approprient plus rapidement leur sujet de recherche et mènent leurs recherches avec une plus grande efficacité.
Le groupe est ainsi introduit à la réception automatique des mises à jour d’un site web grâce à la souscription aux flux R.S.S., à l’usage et à la gestion de signets, à la création d’alertes et à l’abonnement à une sélection choisie de lettres d’informations pour médiévistes (L’Agenda du Médiéviste [qui propose un agenda des événements scientifiques pour médiévistes], Medievalists.net, Mediaevum.de – Mediävistik im Internet, etc.), au microblogage (Twitter et l’application TweetDeck) et à la classification décimale universelle en bibliothèque.

Une troisième séance est consacrée aux catalogues en ligne des bibliothèques généralistes et spécialisées. Nous débutons par l’examen d’une notice bibliographique et la révision de quelques définitions (« catalogage », « inventaire » et « thésaurus », « silence » et « bruit »).
Sont passés en revue par la suite les répertoires de bibliothèques et les grands catalogues, depuis Worldcat et le S.U.D.O.C. – catalogue collectif des bibliothèques universitaires françaises – jusqu’aux catalogues de la Bibliothèque nationale de France (catalogue général + archives et manuscrits + miscellanées, des types documentaires difficiles à localiser dans le catalogue informatisé ; utilisation des microfilms et microfiches) et des bibliothèques de Sorbonne Université.
Les principaux centres de documentation et bibliothèques pouvant accueillir de jeunes médiévistes sont exposés dans un second temps – les collections abritées à l’I.N.H.A., à l’Ecole des Chartes ou encore au Musée de Cluny, accessibles sur rendez-vous –, de même que le fonctionnement des services d’archives (nationales, départementales et municipales) ; un exercice interactif est notamment mené sur les différents cadres de classement des archives en France.
Cette séance est prétexte à la révision des normes bibliographiques/règles typographiques, la citation des références n’étant pas toujours correctement maîtrisée par les étudiants de Master.

Les moteurs de recherche sont abordés dans la séance suivante. Nous évaluons les avantages et les inconvénients de Google Search, l’intérêt de recourir à des méta-moteurs ou encore les atouts comme les limites des moteurs de recherche scientifiques. Sont abordées parallèlement les notions de « web visible »/« invisible » et de « navigation intuitive »/« sérendipité ».
Un certain temps est réservé à des travaux pratiques visant à tester les opérateurs de recherche (booléens, linguistiques et numériques), à découvrir les formats de fichiers et documents indexés par Google, à explorer les fonctions de recherche avancée de plusieurs moteurs de recherche ou plus simplement à analyser un U.R.L. afin d’en comprendre la construction.

Les cinquième et sixième séances sont corrélées, la première séance portant sur les bases de données textuelles en ligne (bases de données bibliographiques comme R.I.-Opac – Literature Database for the Middle Ages ou la base Malraux, indexant les fonds des centres de documentation des D.R.A.C., de l’I.N.P. comme de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts ; bases de données associées à des programmes de recherche, comme Opération Charles VI, ou à des collections muséales, comme Atlas), la seconde séance présentant les plus importants bases de données iconographiques, banques d’images et sites web offrant essentiellement voire exclusivement du contenu iconographique : parmi de très nombreux exemples, Wikimedia Commons, les collections iconographiques numériques de l’Index of Christian Art de l’université de Princeton, l’iconothèque de l’I.N.R.A.P., Joconde et Narcisse – respectivement consacrées aux collections des Musées de France et aux peintures de chevalet du Laboratoire de Recherche des Musées de France – ou encore Liber Floridus et Initiale – respectivement base de données relative aux « enluminures des manuscrits médiévaux conservés dans les bibliothèques de l’enseignement supérieur » et base de données des « manuscrits enluminés du Moyen Age conservés dans les bibliothèques publiques de France [hors B.N.F.], dans des archives départementales, municipales ou diocésaines, dans des musées, trésors de cathédrales, séminaires, bibliothèques de sociétés savantes, ou encore dans des fonds étrangers ».
A l’occasion de la sixième séance, un point complet est effectué sur le légendage des figures, les formats d’images et la mise en page des illustrations sur Word dans le but de fournir aux étudiants toutes les recommandations et astuces pour la constitution matérielle de leur corpus iconographique.
Il s’agit aussi d’approfondir la méthode, à la fois descriptive et analytique, d’appréhension de l’édifice médiéval ou de l’œuvre médiévale. C’est aujourd’hui le « monument » dans sa globalité (son histoire, son architecture et son décor, ses significations, sa portée) que l’on étudie, dans une démarche de constante contextualisation. Dans cette perspective et pour ne mentionner que les bases de données, objet de ces séances de mi-semestre, le numérique peut considérablement accélérer la récolte des informations.

Les bibliothèques numériques et les périodiques électroniques sont au cœur de notre septième séance, sous-titrée « De la bibliothèque physique à la bibliothèque virtuelle » et insistant sur le caractère éminemment complémentaire de ces espaces de documentation dont la fréquentation est cruciale pour les étudiants.
Des définitions sont préalablement livrées (« livre numérique », « périodique électronique », « bouquet de revues », « libre accès », etc.) puis notre attention se porte sur Gallica (la bibliothèque numérique de la B.N.F.), Numistral et Numélyo – les bibliothèques numériques respectives des villes de Strasbourg et de Lyon –, les livres et manuscrits numérisés d’une sélection de grandes médiathèques municipales (Poitiers, Angers, Rennes ou Dijon) et les portails Persée et Revues.org, facilitant la consultation et le téléchargement d’articles issus de revues numérisées (Revue de l’Art ou Bulletin monumental de la S.F.A.) ou nativement numériques (Perspectives médiévales).
En seconde partie de séance, nous abordons plusieurs exercices nouveaux pour les étudiants, comme la recherche en archives et la rédaction de l’état de la question/état de l’art qui constitue la section préliminaire du mémoire de recherche : il est demandé assez précocement par les enseignants afin de s’assurer à la fois de la maîtrise du langage académique par les masterants et de leur compréhension de l’exercice même de constitution d’un bilan historiographique.

Les quatre dernières séances sont organisées deux à deux, d’abord sur « Le musée 2.0. Richesse des contenus et des perspectives », suivi d’une étude de cas la semaine suivante : sur poste informatique, chaque étudiant est invité à se familiariser avec l’offre numérique de grands musées français et étrangers disposant de collections d’art médiéval (par exemple via Google Arts & Culture).
En décembre, nous examinons enfin « La numérisation du patrimoine. Animation virtuelle, réalité augmentée, etc. » et, plus spécifiquement, l’intérêt des expositions virtuelles pour l’étudiant élaborant un mémoire de recherche en art(-s) du Moyen Age.
Il s’agit, à ce stade du semestre, de se pencher sur l’offre numérique des musées français et internationaux à destination du public étudiant. Si l’on songe naturellement à l’usage que peut faire ce dernier des collections muséales numérisées, l’abondance de ressources autres qu’iconographiques mérite un focus spécifique : en effet, les étudiants en histoire de l’art médiéval peuvent tirer profit des visites virtuelles, des fiches de salles numérisées (par exemple au Musée de Cluny ou au Musée des Augustins, à Toulouse), des conférences en ligne ou des catalogues d’exposition épuisés rendus disponibles au téléchargement (par exemple sur MetPublications, mis au point par le Metropolitan Museum of Art de New York).
La numérisation du patrimoine monumental médiéval et la valorisation de celui-ci par le numérique constituent un domaine tout aussi intéressant pour les masterants, qui bénéficient à l’heure actuelle d’innombrables ressources exploitables dans le cadre de la conception d’un mémoire de recherche, que l’on cite seulement les applications de géo-référencement d’entités patrimoniales, les restitutions numériques de polychromies disparues ou encore les reconstitutions numériques de monuments mutilés ou détruits (je pense aux projets Cluny numérique ou Jumièges 3D).
Après une demi-heure affectée à la correction des webographies remises par les étudiants, la dernière séance du séminaire accueille de jeunes professionnels – le plus souvent, d’anciens étudiants de notre U.F.R. d’Art et Archéologie – évoluant désormais à l’intersection de l’histoire de l’art et du numérique, qu’ils soient engagés dans le domaine muséal, patrimonial, mécénal, touristique ou commercial (marché de l’art). Les compétences méthodologiques acquises en séminaire, mais également dans le cadre de formations complémentaires ultérieures, constituent des atouts recherchés d’après les témoignages de ces anciens dont la présence est très stimulante pour les étudiants.

Un questionnaire de satisfaction anonyme est transmis aux étudiants en janvier : il me permet d’améliorer le contenu offert à ces derniers en consolidant les points forts du séminaire et en en rectifiant les points faibles, ainsi identifiés.
Le séminaire Art médiéval à l’ère du numérique répondait à l’origine à une demande institutionnelle soulevée par l’Aeres [Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur] : les rapporteurs avaient pointé l’absence, dans notre offre de formation en Histoire de l’art/Archéologie, d’un cours dédié à la méthodologie documentaire à l’ère d’Internet. Cet enseignement apporte désormais aux étudiants, au premier des quatre semestres composant le Master, les fondamentaux de la recherche documentaire en histoire de l’art et de l’architecture de la période médiévale en mettant l’accent sur le caractère indissociable des voies d’accès traditionnelles à l’information et du recours aux nouvelles technologies.


Sabine Berger, 5 février 2020

12 juin 2019

[Recension] Xavier BARRAL I ALTET, Pál LOVEI, Vinni LUCHERINI, Imre TAKACS (éd.), The Art of Medieval Hungary, Viella, 2018

The Art of Medieval Hungary (éditions Viella, Bibliotheca Academiae Hungariae – Roma. Studia : n° 7, 2018 | https://www.viella.it/libro/9788867286614) est né d’une volonté de regrouper les travaux de recherche les plus récents sur l’art médiéval hongrois* afin d’offrir une vision actualisée des arts roman et gothique au sein d’un pays de l’Europe médiane placé au carrefour des échanges commerciaux, intellectuels et artistiques entre l’est et l’ouest européens depuis la fixation du peuple magyar dans le bassin du Danube, voici plus d’un millénaire, et la fondation d’un Etat chrétien par Etienne Ier de Hongrie/Saint Etienne († 1038).
Cette ambitieuse entreprise, sous l’égide de l’Académie hongroise de Rome (Institut Balassi) et de son ancien directeur Antal Molnár, est pilotée par quatre grands spécialistes : Xavier Barral i Altet, professeur émérite d’Histoire de l’art médiéval (Université de Rennes), Pál Lővei, historien de l’architecture médiévale (Centre de recherches en Sciences humaines de l’Académie Hongroise des Sciences), Vinni Lucherini, professeure d’Histoire de l’art médiéval (Université de Naples-Frédéric II), et Imre Takács, historien de l’art médiéval (Université Loránd Eötvös-elte, Budapest), ancien directeur du Musée hongrois des Arts décoratifs (Iparművészeti Múzeum, Budapest).
En toute logique, au vu de la situation géographique et géopolitique de ce territoire aux frontières sans cesse fluctuantes, c’est dans ses rapports avec l’architecture et la production artistique européennes que l’art de la Hongrie médiévale est appréhendé dans ce volume, le royaume ayant entretenu de fortes relations avec différentes entités politiques voisines ou plus éloignées (Pologne, Bohême et Croatie, ponctuellement associées à la couronne hongroise, mais aussi France capétienne, Italie, Empire germanique et monde byzantin).
Xavier Barral i Altet, coéditeur de l’ouvrage, ouvre celui-ci par une introduction générale (« Hungarian Medieval Art from a European Point of View ») permettant de saisir d’emblée le caractère éminemment original, inventif et flexible de l’art médiéval hongrois, perméable aux apports exogènes et cependant teinté de spécificités locales.
Cinq parties, thématiques et complémentaires, composent le livre :
I. Sources and Studies for Hungarian Medieval Art. Ce premier volet est centré sur l’historiographie de l’art médiéval hongrois. Ernő Marosi, dans « Two Centuries of Research, from the Austro-Hungarian Monarchy to the Present », propose l’indispensable état de la question que vient compléter Kornél Szovák avec « Written Sources on Hungarian Medieval Art History », un inventaire riche et enthousiasmant de la très grande variété des sources, inédites ou non, sur lesquelles s’appuyer pour une étude fine de l’art médiéval en Hongrie. Ces deux contributions liminaires esquissent le cadre historique et méthodologique nécessaire pour saisir la suite de l’ouvrage.
II. City and Territory : une deuxième partie rassemble quatre essais portant sur la constitution des villes, leur expansion tout au long du Moyen Age et les caractéristiques de leur parure monumentale (Katalin Szende, « Towns and Urban Networks in the Carpathian Basin between the Eleventh and the Early Sixteenth Centuries », et Pál Lővei, « Urban Architecture »), mais également sur l’édification, la décoration, l’ameublement liturgique et le rôle social des églises paroissiales en contexte rural (Zsombor Jékely, « Expansion to the Countryside : Rural Architecture in Medieval Hungary ») ainsi que sur la construction et l’entretien des lieux de résidence ou de défense ponctuant les campagnes hongroises (István Feld, « Castles, Mansions, and Manor Houses in Medieval Hungary »). Les témoins monumentaux de la création artistique dans la Hongrie médiévale ont bien souffert des vicissitudes de l’histoire – incursions tatares, destructions consécutives à l’invasion ottomane et aux combats pour la reconquête des territoires soumis à la domination turque : pourtant, des édifices médiévaux subsistent et peuvent encore apporter leur lot de découvertes archéologiques.
III. Architecture and Art in the Context of Liturgy. Les expressions architecturales et sculptées, en terres hongroises, de l’art roman (Béla Zsolt Szakács, « Romanesque Architecture : Abbeys and Cathedrals », et Krisztina Havasi, « Romanesque Sculpture in Medieval Hungary ») puis de l’art gothique (Imre Takács, « The First Century of Gothic in Hungary » ; Pál Lővei et Imre Takács, coéditeurs de l’ouvrage, « “Hungarian Trecento” : Art in the Angevin Era ») sont analysées à travers quatre contributions qui couvrent essentiellement l’art des XIIe-XIVe siècles, des Árpáds aux Angevins. Gábor Endrődi consacre en outre un essai final aux retables tardo-médiévaux (« Winged Altarpieces in Medieval Hungary »).
IV. Religious Cults and Symbols of Power. Les essais de Gábor Klaniczay (« The Cult of the Saints and their Artistic Representation in Recent Hungarian Historiography »), Vinni Lucherini, coéditrice de l’ouvrage (« The Artistic Visualization of the Concept of Kingship in Angevin Hungary »), et Pál Lővei (« Epigraphy and Tomb Sculpture ») s’attachent à présenter les principales manifestations artistiques du pouvoir et de la piété dans la Hongrie médiévale.
V. Forms of Art between Public and Private Use. La constitution des trésors liturgiques et la culture livresque sont respectivement abordées dans les articles d’Evelin Wetter (« Precious Metalwork and Textile Treasures in Late Medieval Hungary ») et d’Anna Boreczky (« Book Culture in Medieval Hungary »).
VI. The Middle Ages after the Middle Ages. La charnière entre Moyen Age et Renaissance correspond aux règnes majeurs de Sigismond de Luxembourg (Imre Takács, « Medieval Twilight or Early Modern Dawn : Art in the Era of Sigismund of Luxembourg ») et, surtout, de Matthias Corvin (Árpád Mikó, « A Renaissance Dream : Arts in the Court of King Matthias »), qui développa la Hongrie sur les plans politique et culturel : deux essais rendent compte de l’efflorescence artistique marquant alors le royaume. Enfin, Gábor György Papp, dans « Medievalism in Nineteenth-Century Hungarian Architecture », traite de l’utilisation historiciste du style gothique dans la création architecturale hongroise au XIXe siècle.
Deux annexes viennent clore l’ouvrage, déjà riche d’un bilan exhaustif des sources et du matériel bibliographique relatifs à l’art médiéval hongrois, livré en introduction :
— la première annexe, « Medieval Artworks and Monuments », consiste en une vingtaine de petites monographies d’œuvres et de monuments médiévaux hongrois parmi les plus importants (la chasuble de saint Etienne – ultérieurement manteau du sacre des rois de Hongrie – et la Sainte Couronne hongroise exposée sous le dôme du Parlement à Budapest, les abbayes bénédictines de Ják et de Tihany, l’ancienne basilique royale de Székesfehérvár [Alba Regia], les cathédrales médiévales de Pécs, d’Esztergom – première cathédrale de Hongrie – ou encore de Gyulafehérvár [aujourd’hui Alba Iulia, Transylvanie], le tympan de l’église de Szentkirály (rare figuration d’un couple de donateurs laïcs entourant le Christ, c. 1230), le palais royal de Visegrád, la statuaire du palais royal de Buda, le château des Corvin à Vajdahunyad [aujourd’hui Hunedoara, Transylvanie], l’église augustinienne de Siklós et ses peintures murales, la Képes Krónika ou Chronicon Pictum (XIVe siècle), le retable de sainte Elisabeth dans le chœur de la cathédrale de Kassa [aujourd’hui Košice, Slovaquie], etc.).
— la seconde annexe, « Museums and Collections Holding Medieval Art », propose au lecteur de parcourir les collections publiques hongroises (Musée des Beaux-Arts de Budapest [cf. http://www.mfab.hu/collections/old-hungarian-collection], Musée historique de Budapest [cf. http://www.btm.hu/en/timeline?museumid=1#headline], Galerie nationale hongroise [cf. https://en.mng.hu/exhibitions/gothic-art et http://en.mng.hu/exhibitions/late-gothic-winged-altarpieces], Musée national hongrois [cf. https://mnm.hu/en/collections] et Musée chrétien d’Esztergom [cf. http://keresztenymuzeum.hu/collections.php?mode=collection&cid=1]) à la découverte des œuvres d’art médiéval qui y sont conservées : les peintures et sculptures tardo-gothiques, de grande qualité, représentent une part éclatante du patrimoine artistique médiéval préservé par les institutions hongroises, qui abritent des fonds diversifiés.
Ce bel ouvrage anglophone (un atout majeur pour la visibilité internationale de ces travaux), abondamment illustré, constitue une somme impressionnante d’érudition (732 pages !) et une synthèse bienvenue sur l’art médiéval en Hongrie : il permet surtout de prendre la mesure de la richesse de la recherche hongroise sur le sujet. S’affranchissant de plus en plus des découpages chronologiques traditionnels, les travaux actuels plaident pour un renouvellement des perspectives et invitent les chercheurs européens à porter un regard plus attentif sur la création artistique médiévale en Hongrie.

* L’usage de ce terme est débattu à plusieurs reprises : Anna Boreczky lui préfère notamment celui d’« indigène », ne conservant l’adjectif « hongrois » que pour qualifier le royaume magyar au Moyen Age.


Sabine Berger, 12 juin 2019

La chapelle Saint-Blaise-des-Simples de Milly‑la‑Forêt (dép. Essonne) – XIIe siècle

Située dans le sud-est de l’actuel département de l’Essonne, à Milly‑la‑Forêt*, la chapelle Saint-Blaise-des-Simples ( https://www.chapelle-...