05 février 2020

@ArtMedNumerique | Enseigner avec le numérique en Master 1 d’Histoire de l’art médiéval

La création, à la rentrée 2013, d’un séminaire de Master 1 spécifiquement consacré à l’enseignement de la méthodologie de la recherche en histoire de l’art et de l’architecture du Moyen Âge européen à l’ère du numérique, Art médiéval à l’ère du numérique : questions de translittératie, a permis d’élargir le spectre des enseignements proposés par l’U.F.R. d’Art et Archéologie de Paris-Sorbonne (aujourd’hui Faculté des Lettres de Sorbonne Université), en offrant aux étudiants un accompagnement critique aux nouveaux outils de la recherche profitables aux médiévistes.
Il est en effet apparu essentiel d’enrichir l’éventail des connaissances inculquées lors de cette année d’initiation à la recherche en introduisant la découverte de méthodes documentaires fondées sur l’usage d’Internet et des nouvelles technologies de l’information. Il ne s’agit pas de former de futurs professionnels des technologies numériques appliquées au patrimoine culturel ou architectural – d’excellents parcours de formation existent déjà, tant à l’intérieur qu’hors du monde académique – mais de donner aux étudiants des compétences originales et transversales leur permettant de naviguer aisément entre documentation papier et ressources en ligne durant l’élaboration de leur mémoire.
Cet enseignement de l’histoire de l’art médiéval à l’ère du numérique, complété d’un espace Moodle et associé à un compte Twitter (@ArtMedNumerique), cherche ainsi à doter les étudiants d’un certain nombre de réflexes : exploitation des réseaux sociaux comme outil de veille pédagogique et scientifique, recours régulier aux manuscrits et publications numérisés, utilisation systématique de bases de données iconographiques en ligne pour la construction de corpus photographiques, consultation d’expositions virtuelles ou usage fréquent d’animations 3D et d’applications de réalité augmentée pour une meilleure compréhension des techniques de construction médiévales, etc.
Ces nouvelles pratiques visent en fin de compte à apporter à un public d’apprenants âgés de 21 à 23 ans, engagés dans un Master Recherche, l’ouverture indispensable aux humanités numériques. Actualiser les méthodes traditionnelles de transmission des savoirs fondamentaux aux étudiants constitue un défi intellectuel enthousiasmant autant qu’une nécessité pédagogique à l’heure où la translittératie est devenue une compétence incontournable.

Art médiéval à l’ère du numérique est un séminaire méthodologique consacré à la découverte des principaux outils et ressources papier aussi bien que numériques utiles aux médiévistes ainsi qu’à l’apprentissage de méthodes de veille et de recherche documentaire fondées sur l’usage des nouvelles technologies. Les séances sont également fréquentées par des antiquisants comme par quelques modernistes puisque nous examinons parfois des ressources relatives à l’art chrétien de l’Antiquité tardive ou à la Renaissance italienne, au gré des besoins ponctuels des étudiants dont les sujets de recherche peuvent être transchronologiques.
Les catalogues en ligne des bibliothèques généralistes et spécialisées, les grands moteurs de recherche, les bases de données textuelles et iconographiques en ligne, les bibliothèques numériques et les périodiques électroniques ainsi que les ressources muséales et patrimoniales en ligne ne constituent pas des media totalement inédits pour des étudiants venant d’achever leur 3ème année universitaire : cependant, ces derniers n’exploitent pas toujours au mieux le potentiel de ces outils ou ne disposent pas d’un panorama suffisamment précis de toutes les ressources offertes par le web en général et par leurs bibliothèques universitaires en particulier, pour mener à bien leurs travaux en histoire de l’art médiéval.
L’élaboration du mémoire de recherche est donc envisagée d’un point de vue purement méthodologique – du rassemblement des premiers éléments archivistiques et bibliographiques jusqu’à la rédaction du plan –, les questions précisément liées au sujet de recherche choisi par l’étudiant relevant quant à elles de l’indispensable dialogue avec sa directrice ou son directeur de recherche.

Le séminaire se déploie sur la douzaine de semaines d’enseignements composant le premier semestre de chaque année universitaire. Le participant nécessite simplement d’être familier de l’environnement pc ou mac et de la navigation sur Internet comme de porter un intérêt manifeste à la méthodologie documentaire pour médiévistes, aux nouvelles technologies appliquée à l’histoire de l’art et à l’archéologie du Moyen Age et à la valorisation du patrimoine (notamment médiéval) grâce à la médiation numérique.
Les intentions pédagogiques du séminaire sont triples : connaître et savoir manipuler les principales ressources papier et numériques en relation avec l’histoire de l’art médiéval (architecture religieuse, civile et militaire – arts figurés) ; être parfaitement autonome dans ses recherches documentaires, aussi bien en archives et bibliothèques que sur le web ; enfin, et plus globalement, maîtriser les nouveaux paradigmes liés à la « digitalisation »/transformation digitale du monde académique, tant en matière de recherche que d’enseignement.
L’assiduité aux séances est prise en compte dans la notation ainsi que la participation orale, que j’encourage fortement en ménageant un temps de discussion systématique. Parallèlement, les étudiants sont invités à poursuivre la réflexion en explorant la documentation qui leur est destinée sur la plateforme Moodle où un espace spécifique, régulièrement alimenté, constitue le prolongement virtuel de nos travaux en salle. Pour valider le suivi du séminaire, les étudiants élaborent une webographie/sitographie en relation directe avec leur sujet de recherche, qu’ils pourront par la suite insérer dans les annexes de leur mémoire.

La première séance consiste en une introduction générale intitulée « Internet et les médiévistes – bref historique et panorama actuel de la recherche ». Après une première prise de contact accompagnée par un point détaillé sur les objectifs du séminaire et les modalités d’évaluation finales, nous commençons par parcourir les différents sites web de méthodologie documentaire permettant aux étudiants d’apprendre en toute autonomie depuis leur entrée en Licence et de consolider leurs compétences durant les deux années de Master (Form@doct par les universités bretonnes [destiné aux doctorants mais profitable aux masterants], Cerise ou encore Compas). Leur sont également présentées les formations délivrées en ligne ou en présentiel par l’U.R.F.I.S.T. de Paris.
La seconde partie de la séance est pleinement consacrée à un panorama de la relation entre les médiévistes et l’informatique/le numérique, depuis les initiatives fondatrices (la revue Le Médiéviste et l’Ordinateur) jusqu’aux réseaux et plateformes d’existence plus ou moins ancienne et d’usage généralisé, comme Ménestrel ou The Digital Medievalist.
Nous retraçons enfin, assez rapidement, l’histoire d’Internet et terminons par l’établissement collaboratif d’une typologie des outils papier et numériques usités aujourd’hui par les médiévistes, qu’ils soient débutants ou chercheurs confirmés : les grands moteurs de recherche, les blogs scientifiques et carnets de recherche, les wikis, les réseaux sociaux, les catalogues en ligne de bibliothèques, les bases de données et les banques d’images, les bibliothèques numériques, les périodiques électroniques, les sites web de musées ou de monuments.

La deuxième séance porte sur l’identité numérique et les outils de veille généralistes et disciplinaires. Après une vingtaine de minutes dédiée à la question fondamentale de la représentation numérique de l’étudiant en Master ou Doctorat (par exemple le C.V. en ligne sur Do You Buzz ou la page personnelle sur le site web de son laboratoire de rattachement), l’objectif essentiel de cette séance est de savoir rechercher l’information fiable et pertinente en ligne : apprendre à sélectionner les informations et reconnaître un site web de qualité qui pourra être exploité avec profit, savoir en quoi consiste une bonne veille documentaire en histoire de l’art médiéval.
Nous travaillons pour cela à partir d’une grille d’analyse offrant une série de questions qu’il est primordial de se poser durant sa navigation afin d’aiguiser son regard critique et de ne pas céder à la paresse intellectuelle consistant à se contenter des tout premiers résultats apparus en réponse à sa requête. Dans la perspective de rassembler une documentation de recherche solide, outre la collecte menée en bibliothèque, les étudiants font en effet usage de données provenant du web : je pense en particulier aux grandes bases de données du Ministère de la Culture, Mérimée et Palissy, indispensables à ceux qui étudient le patrimoine monumental ou mobilier français à une échelle locale comme nationale, mais les exemples sont pléthoriques.
Elaborer une veille thématique efficace et bénéficier de la veille d’autrui constitue un savoir-faire clé : les étudiants qui disposent de cette compétence avant même l’entrée en Master s’approprient plus rapidement leur sujet de recherche et mènent leurs recherches avec une plus grande efficacité.
Le groupe est ainsi introduit à la réception automatique des mises à jour d’un site web grâce à la souscription aux flux R.S.S., à l’usage et à la gestion de signets, à la création d’alertes et à l’abonnement à une sélection choisie de lettres d’informations pour médiévistes (L’Agenda du Médiéviste [qui propose un agenda des événements scientifiques pour médiévistes], Medievalists.net, Mediaevum.de – Mediävistik im Internet, etc.), au microblogage (Twitter et l’application TweetDeck) et à la classification décimale universelle en bibliothèque.

Une troisième séance est consacrée aux catalogues en ligne des bibliothèques généralistes et spécialisées. Nous débutons par l’examen d’une notice bibliographique et la révision de quelques définitions (« catalogage », « inventaire » et « thésaurus », « silence » et « bruit »).
Sont passés en revue par la suite les répertoires de bibliothèques et les grands catalogues, depuis Worldcat et le S.U.D.O.C. – catalogue collectif des bibliothèques universitaires françaises – jusqu’aux catalogues de la Bibliothèque nationale de France (catalogue général + archives et manuscrits + miscellanées, des types documentaires difficiles à localiser dans le catalogue informatisé ; utilisation des microfilms et microfiches) et des bibliothèques de Sorbonne Université.
Les principaux centres de documentation et bibliothèques pouvant accueillir de jeunes médiévistes sont exposés dans un second temps – les collections abritées à l’I.N.H.A., à l’Ecole des Chartes ou encore au Musée de Cluny, accessibles sur rendez-vous –, de même que le fonctionnement des services d’archives (nationales, départementales et municipales) ; un exercice interactif est notamment mené sur les différents cadres de classement des archives en France.
Cette séance est prétexte à la révision des normes bibliographiques/règles typographiques, la citation des références n’étant pas toujours correctement maîtrisée par les étudiants de Master.

Les moteurs de recherche sont abordés dans la séance suivante. Nous évaluons les avantages et les inconvénients de Google Search, l’intérêt de recourir à des méta-moteurs ou encore les atouts comme les limites des moteurs de recherche scientifiques. Sont abordées parallèlement les notions de « web visible »/« invisible » et de « navigation intuitive »/« sérendipité ».
Un certain temps est réservé à des travaux pratiques visant à tester les opérateurs de recherche (booléens, linguistiques et numériques), à découvrir les formats de fichiers et documents indexés par Google, à explorer les fonctions de recherche avancée de plusieurs moteurs de recherche ou plus simplement à analyser un U.R.L. afin d’en comprendre la construction.

Les cinquième et sixième séances sont corrélées, la première séance portant sur les bases de données textuelles en ligne (bases de données bibliographiques comme R.I.-Opac – Literature Database for the Middle Ages ou la base Malraux, indexant les fonds des centres de documentation des D.R.A.C., de l’I.N.P. comme de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts ; bases de données associées à des programmes de recherche, comme Opération Charles VI, ou à des collections muséales, comme Atlas), la seconde séance présentant les plus importants bases de données iconographiques, banques d’images et sites web offrant essentiellement voire exclusivement du contenu iconographique : parmi de très nombreux exemples, Wikimedia Commons, les collections iconographiques numériques de l’Index of Christian Art de l’université de Princeton, l’iconothèque de l’I.N.R.A.P., Joconde et Narcisse – respectivement consacrées aux collections des Musées de France et aux peintures de chevalet du Laboratoire de Recherche des Musées de France – ou encore Liber Floridus et Initiale – respectivement base de données relative aux « enluminures des manuscrits médiévaux conservés dans les bibliothèques de l’enseignement supérieur » et base de données des « manuscrits enluminés du Moyen Age conservés dans les bibliothèques publiques de France [hors B.N.F.], dans des archives départementales, municipales ou diocésaines, dans des musées, trésors de cathédrales, séminaires, bibliothèques de sociétés savantes, ou encore dans des fonds étrangers ».
A l’occasion de la sixième séance, un point complet est effectué sur le légendage des figures, les formats d’images et la mise en page des illustrations sur Word dans le but de fournir aux étudiants toutes les recommandations et astuces pour la constitution matérielle de leur corpus iconographique.
Il s’agit aussi d’approfondir la méthode, à la fois descriptive et analytique, d’appréhension de l’édifice médiéval ou de l’œuvre médiévale. C’est aujourd’hui le « monument » dans sa globalité (son histoire, son architecture et son décor, ses significations, sa portée) que l’on étudie, dans une démarche de constante contextualisation. Dans cette perspective et pour ne mentionner que les bases de données, objet de ces séances de mi-semestre, le numérique peut considérablement accélérer la récolte des informations.

Les bibliothèques numériques et les périodiques électroniques sont au cœur de notre septième séance, sous-titrée « De la bibliothèque physique à la bibliothèque virtuelle » et insistant sur le caractère éminemment complémentaire de ces espaces de documentation dont la fréquentation est cruciale pour les étudiants.
Des définitions sont préalablement livrées (« livre numérique », « périodique électronique », « bouquet de revues », « libre accès », etc.) puis notre attention se porte sur Gallica (la bibliothèque numérique de la B.N.F.), Numistral et Numélyo – les bibliothèques numériques respectives des villes de Strasbourg et de Lyon –, les livres et manuscrits numérisés d’une sélection de grandes médiathèques municipales (Poitiers, Angers, Rennes ou Dijon) et les portails Persée et Revues.org, facilitant la consultation et le téléchargement d’articles issus de revues numérisées (Revue de l’Art ou Bulletin monumental de la S.F.A.) ou nativement numériques (Perspectives médiévales).
En seconde partie de séance, nous abordons plusieurs exercices nouveaux pour les étudiants, comme la recherche en archives et la rédaction de l’état de la question/état de l’art qui constitue la section préliminaire du mémoire de recherche : il est demandé assez précocement par les enseignants afin de s’assurer à la fois de la maîtrise du langage académique par les masterants et de leur compréhension de l’exercice même de constitution d’un bilan historiographique.

Les quatre dernières séances sont organisées deux à deux, d’abord sur « Le musée 2.0. Richesse des contenus et des perspectives », suivi d’une étude de cas la semaine suivante : sur poste informatique, chaque étudiant est invité à se familiariser avec l’offre numérique de grands musées français et étrangers disposant de collections d’art médiéval (par exemple via Google Arts & Culture).
En décembre, nous examinons enfin « La numérisation du patrimoine. Animation virtuelle, réalité augmentée, etc. » et, plus spécifiquement, l’intérêt des expositions virtuelles pour l’étudiant élaborant un mémoire de recherche en art(-s) du Moyen Age.
Il s’agit, à ce stade du semestre, de se pencher sur l’offre numérique des musées français et internationaux à destination du public étudiant. Si l’on songe naturellement à l’usage que peut faire ce dernier des collections muséales numérisées, l’abondance de ressources autres qu’iconographiques mérite un focus spécifique : en effet, les étudiants en histoire de l’art médiéval peuvent tirer profit des visites virtuelles, des fiches de salles numérisées (par exemple au Musée de Cluny ou au Musée des Augustins, à Toulouse), des conférences en ligne ou des catalogues d’exposition épuisés rendus disponibles au téléchargement (par exemple sur MetPublications, mis au point par le Metropolitan Museum of Art de New York).
La numérisation du patrimoine monumental médiéval et la valorisation de celui-ci par le numérique constituent un domaine tout aussi intéressant pour les masterants, qui bénéficient à l’heure actuelle d’innombrables ressources exploitables dans le cadre de la conception d’un mémoire de recherche, que l’on cite seulement les applications de géo-référencement d’entités patrimoniales, les restitutions numériques de polychromies disparues ou encore les reconstitutions numériques de monuments mutilés ou détruits (je pense aux projets Cluny numérique ou Jumièges 3D).
Après une demi-heure affectée à la correction des webographies remises par les étudiants, la dernière séance du séminaire accueille de jeunes professionnels – le plus souvent, d’anciens étudiants de notre U.F.R. d’Art et Archéologie – évoluant désormais à l’intersection de l’histoire de l’art et du numérique, qu’ils soient engagés dans le domaine muséal, patrimonial, mécénal, touristique ou commercial (marché de l’art). Les compétences méthodologiques acquises en séminaire, mais également dans le cadre de formations complémentaires ultérieures, constituent des atouts recherchés d’après les témoignages de ces anciens dont la présence est très stimulante pour les étudiants.

Un questionnaire de satisfaction anonyme est transmis aux étudiants en janvier : il me permet d’améliorer le contenu offert à ces derniers en consolidant les points forts du séminaire et en en rectifiant les points faibles, ainsi identifiés.
Le séminaire Art médiéval à l’ère du numérique répondait à l’origine à une demande institutionnelle soulevée par l’Aeres [Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur] : les rapporteurs avaient pointé l’absence, dans notre offre de formation en Histoire de l’art/Archéologie, d’un cours dédié à la méthodologie documentaire à l’ère d’Internet. Cet enseignement apporte désormais aux étudiants, au premier des quatre semestres composant le Master, les fondamentaux de la recherche documentaire en histoire de l’art et de l’architecture de la période médiévale en mettant l’accent sur le caractère indissociable des voies d’accès traditionnelles à l’information et du recours aux nouvelles technologies.


Sabine Berger, 5 février 2020

La chapelle Saint-Blaise-des-Simples de Milly‑la‑Forêt (dép. Essonne) – XIIe siècle

Située dans le sud-est de l’actuel département de l’Essonne, à Milly‑la‑Forêt*, la chapelle Saint-Blaise-des-Simples ( https://www.chapelle-...