La
création, à la rentrée 2013, d’un séminaire de Master 1 spécifiquement consacré
à l’enseignement de la méthodologie de la recherche en histoire de l’art et de
l’architecture du Moyen Âge européen à l’ère du numérique, Art médiéval à l’ère du numérique : questions de translittératie, a
permis d’élargir le spectre des enseignements proposés par l’U.F.R. d’Art et
Archéologie de Paris-Sorbonne (aujourd’hui Faculté des Lettres de Sorbonne
Université), en offrant aux étudiants un accompagnement critique aux nouveaux
outils de la recherche profitables aux médiévistes.
Il
est en effet apparu essentiel d’enrichir l’éventail des connaissances
inculquées lors de cette année d’initiation à la recherche en introduisant la
découverte de méthodes documentaires fondées sur l’usage d’Internet et des
nouvelles technologies de l’information. Il ne s’agit pas de former de futurs
professionnels des technologies numériques appliquées au patrimoine culturel ou
architectural – d’excellents parcours de formation existent déjà, tant à
l’intérieur qu’hors du monde académique – mais de donner aux étudiants des
compétences originales et transversales leur permettant de naviguer aisément
entre documentation papier et ressources en ligne durant l’élaboration de leur
mémoire.
Cet
enseignement de l’histoire de l’art médiéval à l’ère du numérique, complété
d’un espace Moodle et associé à un compte Twitter (@ArtMedNumerique), cherche
ainsi à doter les étudiants d’un certain nombre de réflexes : exploitation des
réseaux sociaux comme outil de veille pédagogique et scientifique, recours
régulier aux manuscrits et publications numérisés, utilisation systématique de
bases de données iconographiques en ligne pour la construction de corpus
photographiques, consultation d’expositions virtuelles ou usage fréquent
d’animations 3D et d’applications de réalité augmentée pour une meilleure
compréhension des techniques de construction médiévales, etc.
Ces
nouvelles pratiques visent en fin de compte à apporter à un public d’apprenants
âgés de 21 à 23 ans, engagés dans un Master Recherche, l’ouverture
indispensable aux humanités numériques. Actualiser les méthodes traditionnelles
de transmission des savoirs fondamentaux aux étudiants constitue un défi
intellectuel enthousiasmant autant qu’une nécessité pédagogique à l’heure où la
translittératie est devenue une compétence incontournable.
Art médiéval à l’ère du
numérique
est un séminaire méthodologique consacré à la découverte des principaux outils
et ressources papier aussi bien que numériques utiles aux médiévistes ainsi
qu’à l’apprentissage de méthodes de veille et de recherche documentaire fondées
sur l’usage des nouvelles technologies. Les séances sont également fréquentées
par des antiquisants comme par quelques modernistes puisque nous examinons
parfois des ressources relatives à l’art chrétien de l’Antiquité tardive ou à
la Renaissance italienne, au gré des besoins ponctuels des étudiants dont les
sujets de recherche peuvent être transchronologiques.
Les
catalogues en ligne des bibliothèques généralistes et spécialisées, les grands
moteurs de recherche, les bases de données textuelles et iconographiques en
ligne, les bibliothèques numériques et les périodiques électroniques ainsi que
les ressources muséales et patrimoniales en ligne ne constituent pas des media totalement inédits pour des
étudiants venant d’achever leur 3ème année universitaire :
cependant, ces derniers n’exploitent pas toujours au mieux le potentiel de ces
outils ou ne disposent pas d’un panorama suffisamment précis de toutes les
ressources offertes par le web en général et par leurs bibliothèques
universitaires en particulier, pour mener à bien leurs travaux en histoire de
l’art médiéval.
L’élaboration
du mémoire de recherche est donc envisagée d’un point de vue purement
méthodologique – du rassemblement des premiers éléments archivistiques et
bibliographiques jusqu’à la rédaction du plan –, les questions précisément
liées au sujet de recherche choisi par l’étudiant relevant quant à elles de
l’indispensable dialogue avec sa directrice ou son directeur de recherche.
Le
séminaire se déploie sur la douzaine de semaines d’enseignements composant le
premier semestre de chaque année universitaire. Le participant nécessite
simplement d’être familier de l’environnement pc
ou mac et de la navigation sur
Internet comme de porter un intérêt manifeste à la méthodologie documentaire
pour médiévistes, aux nouvelles technologies appliquée à l’histoire de l’art et
à l’archéologie du Moyen Age et à la valorisation du patrimoine (notamment
médiéval) grâce à la médiation numérique.
Les
intentions pédagogiques du séminaire sont triples : connaître et savoir
manipuler les principales ressources papier et numériques en relation avec
l’histoire de l’art médiéval (architecture religieuse, civile et militaire –
arts figurés) ; être parfaitement autonome dans ses recherches
documentaires, aussi bien en archives et bibliothèques que sur le web ;
enfin, et plus globalement, maîtriser les nouveaux paradigmes liés à la
« digitalisation »/transformation digitale du monde académique, tant
en matière de recherche que d’enseignement.
L’assiduité
aux séances est prise en compte dans la notation ainsi que la participation
orale, que j’encourage fortement en ménageant un temps de discussion
systématique. Parallèlement, les étudiants sont invités à poursuivre la
réflexion en explorant la documentation qui leur est destinée sur la plateforme
Moodle où un espace spécifique, régulièrement alimenté, constitue le
prolongement virtuel de nos travaux en salle. Pour valider le suivi du séminaire,
les étudiants élaborent une webographie/sitographie en relation directe avec
leur sujet de recherche, qu’ils pourront par la suite insérer dans les annexes
de leur mémoire.
La
première séance consiste en une introduction générale intitulée « Internet
et les médiévistes – bref historique et panorama actuel de la recherche ».
Après une première prise de contact accompagnée par un point détaillé sur les
objectifs du séminaire et les modalités d’évaluation finales, nous commençons
par parcourir les différents sites web de méthodologie documentaire permettant
aux étudiants d’apprendre en toute autonomie depuis leur entrée en Licence et
de consolider leurs compétences durant les deux années de Master (Form@doct par les universités bretonnes
[destiné aux doctorants mais profitable aux masterants], Cerise ou encore Compas).
Leur sont également présentées les formations délivrées en ligne ou en
présentiel par l’U.R.F.I.S.T. de Paris.
La
seconde partie de la séance est pleinement consacrée à un panorama de la relation
entre les médiévistes et l’informatique/le numérique, depuis les initiatives
fondatrices (la revue Le Médiéviste et
l’Ordinateur) jusqu’aux réseaux et plateformes d’existence plus ou moins
ancienne et d’usage généralisé, comme Ménestrel
ou The Digital Medievalist.
Nous
retraçons enfin, assez rapidement, l’histoire d’Internet et terminons par
l’établissement collaboratif d’une typologie des outils papier et numériques
usités aujourd’hui par les médiévistes, qu’ils soient débutants ou chercheurs
confirmés : les grands moteurs de recherche, les blogs scientifiques et
carnets de recherche, les wikis, les réseaux sociaux, les catalogues en ligne
de bibliothèques, les bases de données et les banques d’images, les
bibliothèques numériques, les périodiques électroniques, les sites web de
musées ou de monuments.
La
deuxième séance porte sur l’identité numérique et les outils de veille
généralistes et disciplinaires. Après une vingtaine de minutes dédiée à la
question fondamentale de la représentation numérique de l’étudiant en Master ou
Doctorat (par exemple le C.V. en ligne sur Do
You Buzz ou la page personnelle sur le site web de son laboratoire de
rattachement), l’objectif essentiel de cette séance est de savoir rechercher
l’information fiable et pertinente en ligne : apprendre à sélectionner les
informations et reconnaître un site web de qualité qui pourra être exploité
avec profit, savoir en quoi consiste une bonne veille documentaire en histoire
de l’art médiéval.
Nous
travaillons pour cela à partir d’une grille d’analyse offrant une série de
questions qu’il est primordial de se poser durant sa navigation afin d’aiguiser
son regard critique et de ne pas céder à la paresse intellectuelle consistant à
se contenter des tout premiers résultats apparus en réponse à sa requête. Dans
la perspective de rassembler une documentation de recherche solide, outre la
collecte menée en bibliothèque, les étudiants font en effet usage de données
provenant du web : je pense en particulier aux grandes bases de données du
Ministère de la Culture, Mérimée et Palissy, indispensables à ceux qui
étudient le patrimoine monumental ou mobilier français à une échelle locale
comme nationale, mais les exemples sont pléthoriques.
Elaborer
une veille thématique efficace et bénéficier de la veille d’autrui constitue un
savoir-faire clé : les étudiants qui disposent de cette compétence avant
même l’entrée en Master s’approprient plus rapidement leur sujet de recherche
et mènent leurs recherches avec une plus grande efficacité.
Le
groupe est ainsi introduit à la réception automatique des mises à jour d’un
site web grâce à la souscription aux flux R.S.S., à l’usage et à la gestion de
signets, à la création d’alertes et à l’abonnement à une sélection choisie de
lettres d’informations pour médiévistes (L’Agenda
du Médiéviste [qui propose un agenda des événements scientifiques pour
médiévistes], Medievalists.net, Mediaevum.de – Mediävistik im Internet,
etc.), au microblogage (Twitter et
l’application TweetDeck) et à la
classification décimale universelle en bibliothèque.
Une
troisième séance est consacrée aux catalogues en ligne des bibliothèques
généralistes et spécialisées. Nous débutons par l’examen d’une notice
bibliographique et la révision de quelques définitions
(« catalogage », « inventaire » et « thésaurus »,
« silence » et « bruit »).
Sont
passés en revue par la suite les répertoires de bibliothèques et les grands
catalogues, depuis Worldcat et le
S.U.D.O.C. – catalogue collectif des bibliothèques universitaires françaises – jusqu’aux
catalogues de la Bibliothèque nationale de France (catalogue général + archives
et manuscrits + miscellanées, des types documentaires difficiles à localiser
dans le catalogue informatisé ; utilisation des microfilms et microfiches)
et des bibliothèques de Sorbonne Université.
Les
principaux centres de documentation et bibliothèques pouvant accueillir de
jeunes médiévistes sont exposés dans un second temps – les collections
abritées à l’I.N.H.A., à l’Ecole des Chartes ou encore au Musée de Cluny,
accessibles sur rendez-vous –, de même que le fonctionnement des services
d’archives (nationales, départementales et municipales) ; un exercice
interactif est notamment mené sur les différents cadres de classement des
archives en France.
Cette
séance est prétexte à la révision des normes bibliographiques/règles
typographiques, la citation des références n’étant pas toujours correctement
maîtrisée par les étudiants de Master.
Les
moteurs de recherche sont abordés dans la séance suivante. Nous évaluons les
avantages et les inconvénients de Google
Search, l’intérêt de recourir à des méta-moteurs ou encore les atouts comme
les limites des moteurs de recherche scientifiques. Sont abordées parallèlement
les notions de « web visible »/« invisible » et de
« navigation intuitive »/« sérendipité ».
Un
certain temps est réservé à des travaux pratiques visant à tester les
opérateurs de recherche (booléens, linguistiques et numériques), à découvrir
les formats de fichiers et documents indexés par Google, à explorer les fonctions de recherche avancée de plusieurs
moteurs de recherche ou plus simplement à analyser un U.R.L. afin d’en
comprendre la construction.
Les
cinquième et sixième séances sont corrélées, la première séance portant sur les
bases de données textuelles en ligne (bases de données bibliographiques comme R.I.-Opac
– Literature Database for the Middle Ages ou la base Malraux, indexant les fonds des centres de documentation des
D.R.A.C., de l’I.N.P. comme de l’Ecole nationale supérieure des
Beaux-Arts ; bases de données associées à des programmes de recherche,
comme Opération Charles VI, ou à des
collections muséales, comme Atlas),
la seconde séance présentant les plus importants bases de données
iconographiques, banques d’images et sites web offrant essentiellement voire
exclusivement du contenu iconographique : parmi de très nombreux exemples,
Wikimedia Commons, les collections
iconographiques numériques de l’Index of
Christian Art de l’université de Princeton, l’iconothèque de l’I.N.R.A.P., Joconde et Narcisse – respectivement consacrées aux collections des Musées de
France et aux peintures de chevalet du Laboratoire de Recherche des Musées de
France – ou encore Liber Floridus et Initiale – respectivement base de
données relative aux « enluminures des manuscrits médiévaux conservés dans
les bibliothèques de l’enseignement supérieur » et base de données des
« manuscrits enluminés du Moyen Age conservés dans les bibliothèques
publiques de France [hors B.N.F.], dans des archives départementales,
municipales ou diocésaines, dans des musées, trésors de cathédrales,
séminaires, bibliothèques de sociétés savantes, ou encore dans des fonds
étrangers ».
A
l’occasion de la sixième séance, un point complet est effectué sur le légendage
des figures, les formats d’images et la mise en page des illustrations sur Word dans le but de fournir aux
étudiants toutes les recommandations et astuces pour la constitution matérielle
de leur corpus iconographique.
Il
s’agit aussi d’approfondir la méthode, à la fois descriptive et analytique,
d’appréhension de l’édifice médiéval ou de l’œuvre médiévale. C’est aujourd’hui
le « monument » dans sa globalité (son histoire, son architecture et
son décor, ses significations, sa portée) que l’on étudie, dans une démarche de
constante contextualisation. Dans cette perspective et pour ne mentionner que
les bases de données, objet de ces séances de mi-semestre, le numérique peut
considérablement accélérer la récolte des informations.
Les
bibliothèques numériques et les périodiques électroniques sont au cœur de notre
septième séance, sous-titrée « De la bibliothèque physique à la
bibliothèque virtuelle » et insistant sur le caractère éminemment
complémentaire de ces espaces de documentation dont la fréquentation est
cruciale pour les étudiants.
Des
définitions sont préalablement livrées (« livre numérique »,
« périodique électronique », « bouquet de revues »,
« libre accès », etc.) puis notre attention se porte sur Gallica (la bibliothèque numérique de la
B.N.F.), Numistral et Numélyo – les bibliothèques numériques
respectives des villes de Strasbourg et de Lyon –, les livres et manuscrits
numérisés d’une sélection de grandes médiathèques municipales (Poitiers,
Angers, Rennes ou Dijon) et les portails Persée
et Revues.org, facilitant la
consultation et le téléchargement d’articles issus de revues numérisées (Revue de l’Art ou Bulletin monumental de la S.F.A.) ou nativement numériques (Perspectives médiévales).
En
seconde partie de séance, nous abordons plusieurs exercices nouveaux pour les
étudiants, comme la recherche en archives et la rédaction de l’état de la
question/état de l’art qui constitue la section préliminaire du mémoire de
recherche : il est demandé assez précocement par les enseignants afin de
s’assurer à la fois de la maîtrise du langage académique par les masterants et
de leur compréhension de l’exercice même de constitution d’un bilan
historiographique.
Les
quatre dernières séances sont organisées deux à deux, d’abord sur « Le
musée 2.0. Richesse des contenus et des perspectives », suivi d’une étude
de cas la semaine suivante : sur poste informatique, chaque étudiant est
invité à se familiariser avec l’offre numérique de grands musées français et
étrangers disposant de collections d’art médiéval (par exemple via Google Arts & Culture).
En
décembre, nous examinons enfin « La numérisation du patrimoine. Animation
virtuelle, réalité augmentée, etc. » et, plus spécifiquement, l’intérêt
des expositions virtuelles pour l’étudiant élaborant un mémoire de recherche en
art(-s) du Moyen Age.
Il
s’agit, à ce stade du semestre, de se pencher sur l’offre numérique des musées
français et internationaux à destination du public étudiant. Si l’on songe
naturellement à l’usage que peut faire ce dernier des collections muséales
numérisées, l’abondance de ressources autres qu’iconographiques mérite un focus
spécifique : en effet, les étudiants en histoire de l’art médiéval peuvent
tirer profit des visites virtuelles, des fiches de salles numérisées (par
exemple au Musée de Cluny ou au Musée des Augustins, à Toulouse), des conférences
en ligne ou des catalogues d’exposition épuisés rendus disponibles au
téléchargement (par exemple sur MetPublications,
mis au point par le Metropolitan Museum of Art de New York).
La
numérisation du patrimoine monumental médiéval et la valorisation de celui-ci
par le numérique constituent un domaine tout aussi intéressant pour les
masterants, qui bénéficient à l’heure actuelle d’innombrables ressources
exploitables dans le cadre de la conception d’un mémoire de recherche, que l’on
cite seulement les applications de géo-référencement d’entités patrimoniales,
les restitutions numériques de polychromies disparues ou encore les
reconstitutions numériques de monuments mutilés ou détruits (je pense aux
projets Cluny numérique ou Jumièges 3D).
Après
une demi-heure affectée à la correction des webographies remises par les
étudiants, la dernière séance du séminaire accueille de jeunes professionnels –
le plus souvent, d’anciens étudiants de notre U.F.R. d’Art et Archéologie –
évoluant désormais à l’intersection de l’histoire de l’art et du numérique,
qu’ils soient engagés dans le domaine muséal, patrimonial, mécénal, touristique
ou commercial (marché de l’art). Les compétences méthodologiques acquises en
séminaire, mais également dans le cadre de formations complémentaires
ultérieures, constituent des atouts recherchés d’après les témoignages de ces
anciens dont la présence est très stimulante pour les étudiants.
Un
questionnaire de satisfaction anonyme est transmis aux étudiants en
janvier : il me permet d’améliorer le contenu offert à ces derniers en
consolidant les points forts du séminaire et en en rectifiant les points
faibles, ainsi identifiés.
Le
séminaire Art médiéval à l’ère du
numérique répondait à l’origine à une demande institutionnelle soulevée par
l’Aeres [Agence d’Evaluation de la
Recherche et de l’Enseignement supérieur] : les rapporteurs avaient pointé
l’absence, dans notre offre de formation en Histoire de l’art/Archéologie, d’un
cours dédié à la méthodologie documentaire à l’ère d’Internet. Cet enseignement
apporte désormais aux étudiants, au premier des quatre semestres composant le
Master, les fondamentaux de la recherche documentaire en histoire de l’art et
de l’architecture de la période médiévale en mettant l’accent sur le caractère
indissociable des voies d’accès traditionnelles à l’information et du recours
aux nouvelles technologies.
Sabine Berger, 5
février 2020