The Art of Medieval
Hungary (éditions Viella, Bibliotheca Academiae
Hungariae – Roma. Studia :
n° 7, 2018 | https://www.viella.it/libro/9788867286614)
est né d’une volonté de regrouper les travaux de recherche les plus récents sur
l’art médiéval hongrois* afin d’offrir une vision actualisée des arts roman et
gothique au sein d’un pays de l’Europe médiane placé au carrefour des échanges
commerciaux, intellectuels et artistiques entre l’est et l’ouest européens
depuis la fixation du peuple magyar dans le bassin du Danube, voici plus d’un
millénaire, et la fondation d’un Etat chrétien par Etienne Ier de
Hongrie/Saint Etienne († 1038).
Cette ambitieuse
entreprise, sous l’égide de l’Académie hongroise de Rome (Institut Balassi) et
de son ancien directeur Antal Molnár, est pilotée par quatre grands
spécialistes : Xavier Barral i Altet, professeur émérite d’Histoire de l’art
médiéval (Université de Rennes), Pál Lővei, historien de l’architecture
médiévale (Centre de recherches en Sciences humaines de l’Académie Hongroise
des Sciences), Vinni Lucherini, professeure d’Histoire de l’art médiéval
(Université de Naples-Frédéric II), et Imre Takács, historien de l’art médiéval
(Université Loránd Eötvös-elte,
Budapest), ancien directeur du Musée hongrois des Arts décoratifs
(Iparművészeti Múzeum, Budapest).
En toute logique, au vu
de la situation géographique et géopolitique de ce territoire aux frontières
sans cesse fluctuantes, c’est dans ses rapports avec l’architecture et la
production artistique européennes que l’art de la Hongrie médiévale est
appréhendé dans ce volume, le royaume ayant entretenu de fortes relations avec
différentes entités politiques voisines ou plus éloignées (Pologne, Bohême et
Croatie, ponctuellement associées à la couronne hongroise, mais aussi France
capétienne, Italie, Empire germanique et monde byzantin).
Xavier Barral i Altet,
coéditeur de l’ouvrage, ouvre celui-ci par une introduction générale
(« Hungarian Medieval Art from a European Point of View ») permettant
de saisir d’emblée le caractère éminemment original, inventif et flexible de
l’art médiéval hongrois, perméable aux apports exogènes et cependant teinté de
spécificités locales.
Cinq parties,
thématiques et complémentaires, composent le livre :
— I. Sources and Studies for Hungarian Medieval Art. Ce premier volet est
centré sur l’historiographie de l’art médiéval hongrois. Ernő Marosi, dans
« Two Centuries of Research, from the Austro-Hungarian Monarchy to the
Present », propose l’indispensable état de la question que vient compléter
Kornél Szovák avec « Written Sources on Hungarian Medieval Art
History », un inventaire riche et enthousiasmant de la très grande variété
des sources, inédites ou non, sur lesquelles s’appuyer pour une étude fine de
l’art médiéval en Hongrie. Ces deux contributions liminaires esquissent le
cadre historique et méthodologique nécessaire pour saisir la suite de
l’ouvrage.
— II. City and
Territory : une deuxième partie rassemble quatre essais portant sur la
constitution des villes, leur expansion tout au long du Moyen Age et les
caractéristiques de leur parure monumentale (Katalin Szende, « Towns and Urban
Networks in the Carpathian Basin between the Eleventh and the Early Sixteenth
Centuries », et Pál Lővei, « Urban Architecture »), mais
également sur l’édification, la décoration, l’ameublement liturgique et le rôle
social des églises paroissiales en contexte rural (Zsombor Jékely,
« Expansion to the Countryside : Rural Architecture in Medieval
Hungary ») ainsi que sur la construction et l’entretien des lieux de
résidence ou de défense ponctuant les campagnes hongroises (István Feld, « Castles,
Mansions, and Manor Houses in Medieval Hungary »). Les témoins monumentaux
de la création artistique dans la Hongrie médiévale ont bien souffert des
vicissitudes de l’histoire – incursions tatares, destructions consécutives à
l’invasion ottomane et aux combats pour la reconquête des territoires soumis à
la domination turque : pourtant, des édifices médiévaux subsistent et peuvent
encore apporter leur lot de découvertes archéologiques.
— III. Architecture and Art in the Context of Liturgy. Les expressions
architecturales et sculptées, en terres hongroises, de l’art roman (Béla Zsolt
Szakács, « Romanesque Architecture : Abbeys and Cathedrals », et
Krisztina Havasi, « Romanesque Sculpture in Medieval Hungary ») puis
de l’art gothique (Imre Takács, « The First Century of Gothic in
Hungary » ; Pál Lővei et Imre Takács, coéditeurs de l’ouvrage,
« “Hungarian Trecento” : Art in
the Angevin Era ») sont analysées à travers quatre contributions qui
couvrent essentiellement l’art des XIIe-XIVe siècles, des
Árpáds aux Angevins. Gábor Endrődi consacre en outre un essai final aux
retables tardo-médiévaux (« Winged Altarpieces in Medieval
Hungary »).
— IV. Religious Cults and Symbols of Power. Les essais de Gábor
Klaniczay (« The Cult of the Saints and their Artistic Representation in
Recent Hungarian Historiography »), Vinni Lucherini, coéditrice de
l’ouvrage (« The Artistic Visualization of the Concept of Kingship in
Angevin Hungary »), et Pál Lővei (« Epigraphy and Tomb
Sculpture ») s’attachent à présenter les principales manifestations
artistiques du pouvoir et de la piété dans la Hongrie médiévale.
— V. Forms of Art between Public and Private Use. La constitution des
trésors liturgiques et la culture livresque sont respectivement abordées dans
les articles d’Evelin Wetter (« Precious Metalwork and Textile Treasures
in Late Medieval Hungary ») et d’Anna Boreczky (« Book Culture in
Medieval Hungary »).
— VI. The Middle Ages after the Middle Ages. La charnière entre
Moyen Age et Renaissance correspond aux règnes majeurs de Sigismond de
Luxembourg (Imre Takács, « Medieval Twilight or Early Modern Dawn : Art in
the Era of Sigismund of Luxembourg ») et, surtout, de Matthias Corvin
(Árpád Mikó, « A Renaissance Dream : Arts in the Court of King
Matthias »), qui développa la Hongrie sur les plans politique et
culturel : deux essais rendent compte de l’efflorescence artistique
marquant alors le royaume. Enfin, Gábor György Papp, dans « Medievalism in
Nineteenth-Century Hungarian Architecture », traite de l’utilisation historiciste du style gothique dans
la création architecturale hongroise au XIXe siècle.
Deux annexes viennent
clore l’ouvrage, déjà riche d’un bilan exhaustif des sources et du matériel
bibliographique relatifs à l’art médiéval hongrois, livré en introduction :
— la première annexe,
« Medieval Artworks and Monuments », consiste en une vingtaine de
petites monographies d’œuvres et de monuments médiévaux hongrois parmi les
plus importants (la chasuble de saint Etienne – ultérieurement manteau du sacre
des rois de Hongrie – et la Sainte Couronne hongroise exposée sous le dôme du
Parlement à Budapest, les abbayes bénédictines de Ják et de Tihany, l’ancienne
basilique royale de Székesfehérvár [Alba Regia], les cathédrales médiévales de
Pécs, d’Esztergom – première cathédrale de Hongrie – ou encore de Gyulafehérvár
[aujourd’hui Alba Iulia, Transylvanie], le tympan de l’église de Szentkirály
(rare figuration d’un couple de donateurs laïcs entourant le Christ, c. 1230),
le palais royal de Visegrád, la statuaire du palais royal de Buda, le château
des Corvin à Vajdahunyad [aujourd’hui Hunedoara, Transylvanie], l’église
augustinienne de Siklós et ses peintures murales, la Képes Krónika ou Chronicon Pictum (XIVe
siècle), le retable de sainte Elisabeth dans le chœur de la cathédrale de Kassa
[aujourd’hui Košice, Slovaquie], etc.).
— la seconde annexe,
« Museums and Collections Holding Medieval Art », propose au lecteur
de parcourir les collections publiques hongroises (Musée des Beaux-Arts de
Budapest [cf. http://www.mfab.hu/collections/old-hungarian-collection],
Musée historique de Budapest [cf. http://www.btm.hu/en/timeline?museumid=1#headline],
Galerie nationale hongroise [cf. https://en.mng.hu/exhibitions/gothic-art
et http://en.mng.hu/exhibitions/late-gothic-winged-altarpieces],
Musée national hongrois [cf. https://mnm.hu/en/collections]
et Musée chrétien d’Esztergom [cf. http://keresztenymuzeum.hu/collections.php?mode=collection&cid=1])
à la découverte des œuvres d’art médiéval qui y sont conservées : les
peintures et sculptures tardo-gothiques, de grande qualité, représentent une
part éclatante du patrimoine artistique médiéval préservé par les institutions
hongroises, qui abritent des fonds diversifiés.
Ce bel ouvrage
anglophone (un atout majeur pour la visibilité internationale de ces travaux),
abondamment illustré, constitue une somme impressionnante d’érudition (732
pages !) et une synthèse bienvenue sur l’art médiéval en Hongrie : il
permet surtout de prendre la mesure de la richesse de la recherche hongroise
sur le sujet. S’affranchissant de plus en plus des découpages chronologiques
traditionnels, les travaux actuels plaident pour un renouvellement des
perspectives et invitent les chercheurs européens à porter un regard plus
attentif sur la création artistique médiévale en Hongrie.
* L’usage de ce terme
est débattu à plusieurs reprises : Anna Boreczky lui préfère notamment
celui d’« indigène », ne conservant l’adjectif « hongrois »
que pour qualifier le royaume magyar au Moyen Age.
Sabine Berger, 12 juin
2019